
Le réalisateur japonais adapte une nouvelle de Haruki Murakami et offre, avec « Drive My Car », une nouvelle leçon d’écriture, récompensée du prix du scénario à Cannes. Rencontre.
Paris Match. Comment est né ce projet d’adapter une oeuvre de Haruki Murakami ? Et pourquoi cette nouvelle ?
Ryūsuke Hamaguchi. J’apprécie l’oeuvre de Haruki Murakami depuis longtemps. J’ai lu beaucoup de ses livres. Mais cette nouvelle-ci en particulier, c’est un ami qui me l’a recommandée car il avait l’impression qu’elle comportait de nombreux points de correspondance avec mes précédentes oeuvres. Il avait raison. La première chose qui m’a séduit, c’est le fait d’être à bord d’une voiture, de rouler et de suivre les conversations qui se tissent entre les personnages dans un endroit clos. Je trouve qu’un trajet en voiture permet des conversations qui ne pourraient pas avoir lieu ailleurs et qui augmente l’intensité de l’intimité. J’avais déjà filmé des dialogues dans des voitures et j’avais adoré ça. Dans la nouvelle, le personnage principal est un comédien. J’en ai fait un metteur en scène mais il avait déjà toute cette réflexion autour du jeu d’acteur qui m’intéressait beaucoup.
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Pour avoir relu la nouvelle, elle est relativement courte. Comment avez-vous abordé précisément le travail d’adaptation?
Au départ, mon producteur préférait que j’adapte une autre nouvelle. Mais je me suis battu pour que ce soit celle-ci qui soit portée à l’écran. Je pense que c’est plus pertinent d’adapter une nouvelle de Haruki Murakami qu’un roman car souvent ses romans jouent sur la frontière entre le réel et le fantastique et c’est si finement imbriqué que cela me parait impossible d’apporter une « valeur ajoutée» à ses écrits. Adapter une nouvelle offre une plus grande liberté, une plus grande «simplicité». Il y a comme des portes vers un monde parallèle qui n’ont pas été ouvertes. Vous pouvez imaginer ce qui n’a pas été écrit précisément. Le matériau de la nouvelle n’était pas suffisant pour un long métrage de fiction et il fallait ajouter des éléments en plus. J’ai ainsi utilisé des éléments d’une autre nouvelle du recueil «Des Hommes sans femme» que j’aimais beaucoup, «Shéhérazade», une nouvelle qui, justement, possède elle aussi de nombreuses portes vers des mondes possibles. Je me suis aussi appuyé sur «Oncle Vania» d’Anton Tchekhov pour nourrir le réel du film. Tout cela a été ajouté à la narration principale.
Vous avez «transformé» le comédien de la nouvelle en metteur en scène. Vous avez par le passé fait de résidence artistique notamment pour élaborer le film «Senses». A quel point le héros de «Drive My Car» vous ressemble ?
C’est un petit quiproquo, je pense. Je m’implique bien sûr personnellement dans l’écriture mais c’est la structure narrative qui prime et qui influe sur les comportements de mes personnages. Mais c’est vrai que dans je me demande comment réagirait tel ou tel personnage dans une situation, il y a donc une partie de moi qui transparait, je ne peux pas le nier. Mais c’est quand même l’histoire qui prédomine. Je devais respecter l’univers et l’esprit de Haruki Murakami, une loyauté à avoir à l’égard de l’auteur.
Il y a une idée que j’ai trouvée très intéressante dans «Drive my Car» et qui renforce le propos du film et de la nouvelle sur la communication, c’est le fait que la pièce de théâtre ne se joue pas dans une langue précise. C’est une idée originale?
Oui, c’est une idée originale. Au départ, je pensais l’utiliser pour un autre projet mais finalement elle m’a été très utile pour «Drive my Car». Je crois très fortement à la puissance de l’écoute dans le jeu. Les comédiens entre eux ne se comprennent pas en terme de langue mais à force d’entendre les dialogues joués dans une autre langue, ils finissent par le ressentir d’une autre manière. Cela nécessite d’écouter l’autre avec une attention décuplée. Je crois que c’est l’une des conditions pour un bon jeu d’acteur. A mes yeux, il existe une communication possible au-delà des mots et je trouvais que cette idée révélait cela.
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Abbas Kiarostami est incontournable quand vous mettez en scène des discussions en voiture
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Comment travailler-vous avec vos acteurs?
Comme dans le film, je fais beaucoup de lectures avec mes comédiens avant d’entamer le tournage. On répète inlassablement en essayant de se départir des sentiments pour se concentrer sur le texte, presque d’une façon mécanique. L’élément fondamental pour moi c’est que l’acteur puisse se sentir en confiance devant la caméra. C’est la seule manière pour que l’acteur puisse spontanément jouer. Cela parait contraignant comme méthode mais une fois qu’ils se sont imprégnés du texte, ils ont une grande liberté d’interprétation. Ils peuvent alors ressentir le texte comme ils le veulent. Je leur délègue en quelque sorte cette partie mais cela nécessite une grande relation de confiance.
Votre adaptation théâtrale dans le film d’«Oncle Vania» est très belle. Avez-vous des envies de mise en scène théâtrale ?
Je n’ai pas cette ambition. Ce qui m’intéresse avant tout c’est de filmer, l’acte même de filmer le jeu. Cela m’a toujours intéressé et je continue à explorer cela film après film. J’aime aussi filmer les gens au travail, comment ils se consacrent à leur métier, sans geste superflu, droit au but. Filmer des acteurs, c’est filmer des gens qui travaillent tout en jouant. Je cherche aussi à comprendre le principe fondamental du cinéma qui est où placer idéalement la caméra, où avoir le meilleur angle pour filmer une scène.
Justement comment avez-vous élaboré la mise en scène des scènes dans la voiture ? Aviez-vous des sources d’inspiration?
Pour ce film-ci, je n’avais pas de cinéaste de référence en tête, mais Abbas Kiarostami est bien sûr incontournable quand vous mettez en scène des discussions en voiture. Ce qui m’intéressait dans ses films, ce n’était pas tant le placement des caméras dans la voiture mais la manière dont il parvient toujours à créer de la fiction alors même qu’il parait juste enregistrer le réel, à la manière d’un documentaire. Il le fait par le découpage, le positionnement de la caméra. Dans une voiture, même si on peut filmer de tous les endroits possibles avec un smartphone ou des petites caméras, vous n’avez pas trop d’options et nous avons beaucoup réfléchi en amont. Ce qui m’importait principalement c’était que l’on puisse ressentir l’évolution de la relation entre la conductrice et son passager, que cela accompagne le degré d’intimité grandissant entre les personnages.
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