À Paris–Descartes, l’horreur était là depuis trente ans. Des photographies révélées jeudi 3 juin par Paris Match offrent un prisme nouveau et effroyable quant à l’affaire dite « du charnier » de l’université Paris-Descartes, au cœur du « temple français de l’anatomie » fondé en 1953, qui accueillait chaque année plusieurs centaines de corps. Locaux vétustes, dépouilles putréfiées et rongées par les souris, soupçon de marchandisation des corps… Dans un article publié fin novembre 2019, L’Express avait dénoncé les « conditions indécentes » de conservation de dépouilles de « milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science ». L’hebdomadaire s’appuyait alors sur des photos datées de 2016, tandis que la mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) chargée de l’affaire pointe des dysfonctionnements depuis 2012.
Mais les éléments apportés aujourd’hui par Paris Match révèlent que ces « dysfonctionnements » sont bien plus anciens : des diapositives, datées de juin, septembre et octobre 1988, prises par un chirurgien chargé de disséquer des corps, choqué, déjà, par ce qu’il voyait. Un charnier. Comme l’explique Paris Match, ces révélations écartent la théorie d’une dérive, d’une erreur ponctuelle de quelques-uns dans les années 2010 ou encore celle du problème technique, comme une panne de frigo, comme on a pu l’entendre pour justifier l’affaire. Depuis les années 1980, une partie des milliers de corps donnés à la science finissent par être abandonnés à ce triste sort.
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« Un spectacle ignoble »
Interrogés par Paris Match, Richard Douard et Dominique Hordé, qui ont tous deux dénoncé la situation du centre par le passé, estiment que les corps apparaissant sur les diapositives étaient conservés depuis plusieurs années au moment où on les a photographiés. « C’est un spectacle ignoble. Ce sont essentiellement des embaumés, desséchés, en état de décomposition avancée, explique Dominique Hordé. Pourquoi laisser pourrir des corps sans justification scientifique ? Les directions successives ne pouvaient pas l’ignorer. » La situation semble alors encore pire que l’histoire récente.
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« Il existe chez les anatomistes un rite selon lequel “j’en ai bavé, alors tu dois en baver”, raconte de son côté le professeur Richard Douard. C’est pourquoi ils ont vécu des années sur un charnier sans jamais s’en rendre compte. Quand j’ai découvert l’intérieur des frigos en 2014, j’ai saisi l’ampleur du problème. » Pour l’heure, la justice enquête sur des faits remontant au 30 novembre 2013 jusqu’au 8 juillet 2020. Avant cela, Paris Match estime qu’environ 20 000 personnes ont légué leur corps à la science entre 1988 et 2013. Depuis novembre 2019, le cinquième étage de l’université n’a pas rouvert.