« Avec les polémiques sur le voile, tout le monde est perdant… sauf le RN »

3

Politologue spécialiste du libéralisme, Philippe Raynaud analyse la séquence dans laquelle Sara Zemmahi, candidate suppléante LREM aux départementales dans l’Hérault, s’est présentée voilée sur un tract de campagne. Au-delà de ce débat, Philippe Raynaud décrypte les récentes évolutions politiques d’Emmanuel Macron. Interview.

Le Point : La République en marche semble se déchirer sur le cas d’une candidate voilée. Après qu’elle a défendu une loi contre le séparatisme, quelle impression peut produire un tel événement ?

Philippe Raynaud : Cela donne surtout l’impression d’un parti qui manque de cohérence. Je vois deux hypothèses : ou bien les militants de l’Hérault savent qu’ils sont en contradiction avec la ligne de leur parti, et c’est un manque de sérieux ; ou bien ils ne comprennent pas qu’ils sont en contradiction avec leur parti, et c’est encore plus problématique. Dans les deux cas, c’est assez fâcheux. Le candidat LREM pour le canton a dit ne pas comprendre où était le problème… Je crois que cela indique que certains militants de La République en marche ne comprennent pas les stratégies des Frères musulmans, dont fait partie la banalisation du voile au sein du monde politique. Mais l’écho de cet incident tient essentiellement du fait qu’il se produit dans le parti de la majorité présidentielle, qui défend sur ces questions une ligne très différente.

On a vu par exemple une représentante de l’Unef voilée défendre le droit à l’IVG… Ne faudrait-il pas accepter l’idée qu’il puisse y avoir une forme « d’hybridation » des identités ?

C’est un phénomène social significatif, mais ça n’est pas parce que l’opinion est parfois paradoxale que les dirigeants politiques devraient être confus. D’ordinaire, les candidates voilées sont plutôt mises en avant par des partis ou organisations qui se sont fait une spécialité de les promouvoir, comme EELV ou le NPA.

Sur le plan formel, rien n’interdit à cette candidate d’apparaître voilée…

Non évidemment, il ne faut pas poser le débat sous un aspect juridique, alors que c’est une question politique. Cette candidate a sans doute le droit de se présenter voilée, d’afficher ses convictions religieuses et même peut-être de suivre un agenda islamiste, tout comme les électeurs ont le droit de ne pas voter pour elle et pour le parti qui la présente. Tout cela met en lumière un certain amateurisme dans La République en marche, qui a décidément bien du mal à faire de la politique, notamment à l’échelon local. Lorsque vous gouvernez un pays, vos élus doivent se garder de soutenir localement des positions qui viennent contredire celles du gouvernement, tout le monde devrait comprendre cela…

À LIRE AUSSISciences Po Grenoble : le rapport qui accable

C’est une erreur politique ?

Disons que, en cette période, ce genre d’incident tombe plutôt mal et risque de brouiller la ligne du gouvernement. Je crois néanmoins que c’est un raté qu’il convient de ne pas surestimer… Cela reflète les faiblesses de l’organisation du parti mais ne préjuge pas des positions d’Emmanuel Macron, qui semble s’être constitué une opinion nette sur ces questions. Certes, celui-ci a sans doute évolué depuis l’élection de 2017, où sa candidature était soutenue par des courants favorables à un multiculturalisme assez affirmé, mais on peut estimer sans prendre de risque que ceux qui constituent son socle électoral aujourd’hui ne sont plus sur cette ligne. Mais il y a sans doute des décalages importants entre l’électorat de LREM, qui est plutôt de centre-droit, une majorité parlementaire de centre gauche et le parti lui-même, dont beaucoup de cadres sont mal à l’aise dans la ligne actuelle. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’il puisse y avoir des ratés !

Pensez-vous qu’Emmanuel Macron puisse encore être considéré comme ambivalent sur ces questions ? Après tout il était plutôt considéré comme culturellement libéral avant d’être élu…

Je crois que l’évolution d’Emmanuel Macron est moins importante qu’on ne le dit, et qu’elle ne signifie pas qu’il ait cessé d’être culturellement libéral. Ses positions de 2017 étaient sans doute durcies par la logique de la campagne, et notamment par sa rivalité avec Manuel Valls, dont il devait alors se démarquer. Mais il y avait déjà chez lui, notamment sur les questions scolaires, des positions que ses adversaires de gauche pouvaient juger comme conservatrices et qui vont tout à fait dans le sens de la logique « républicaine ». Ses positions d’aujourd’hui contredisent les nouvelles revendications de type « woke », mais elles ne contestent pas la nécessité d’une certaine évolution de la culture nationale ; elles sont en fait authentiquement libérales, puisqu’elles reposent sur l’idée de la priorité de la liberté sur les identités religieuses. Je crois vraiment que sur ces points, Emmanuel Macron est clair, très clair même… Peu de chefs d’État peuvent prétendre être aussi clairs sur ces questions ! Si vous avez des doutes, lisez le New York Times et voyez l’accueil réservé à sa loi antiséparatisme, ou regardez les manifestations au Pakistan après son discours sur Samuel Paty ! Les arbitrages ont été rendus. Lors des débats sur la loi séparatisme, on a assisté à des discussions vives sur le degré d’ouverture de la laïcité qu’il convenait de défendre et l’on peut considérer que la ligne d’une laïcité dite « ouverte » incarnée par Jean Bauberot a été battue. Par ailleurs, je ne crois pas non plus à la thèse d’une ambivalence savamment dosée pour complaire à la gauche de LREM… En tout cas, un tel choix ne serait guère judicieux, car chez les électeurs venus de la gauche qui se reconnaissent encore dans Emmanuel Macron, la plupart proviennent essentiellement d’électeurs qui soutenaient Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve, et pas de la gauche multiculturaliste. Une telle stratégie, même volontaire, ne rallierait personne à la majorité présidentielle !

À LIRE AUSSITribune d’anciens généraux : le piège de Marine Le Pen

Quelles conséquences peut-on envisager pour cet événement ?

Le paysage politique est dominé par les questions de sécurité et de terrorisme qui ont pris de l’importance, c’est même devenu le principal moteur du RN. Si l’opinion commençait à estimer que le gouvernement n’est pas capable de répondre à ces questions, cela pourrait alimenter la propagande du RN. Autre effet collatéral, cette affaire pousse aussi les partis de gauche à se caricaturer, de tous les côtés, on entend des gens respectables tenir des propos consternants. Avec ce genre de polémiques, tout le monde est perdant… sauf le RN.




Source link

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here