Vivre une étape du Tour de France de l'intérieur est déjà une aubaine, et un privilège mémorable. Mais comment traduire fidèlement une immersion au cœur de la Caravane, dans une 2CV Cochonou ? Les mots semblent dérisoires...
« Tu verras », m'assure Damien, le chauffeur de la magnifique 2CV Limousine qui m'accompagna durant mes 24 heures d'immersion sur une étape du 106e Tour de France, « lorsque tu rentreras à Paris, tu auras du mal à retranscrire ce que tu as vécu avec nous sur les routes du Tour. Ça ne se raconte pas, ça se vit.»
Je l'écoutai, poliment, pensant en mon for intérieur qu'il exagérait, surestimait ma sensibilité et faisait fi de mon expérience en matière de reportage. Plus pragmatique, j'appréhendais davantage de devoir rester 5 heures le séant collé sur une banquette de Deuche. J'avais tort, ô combien.
Ainsi, entre Saint-Dié et Colmar ce mercredi 10 juillet, entre Vosges et Alsace, j'ai vécu, à l'arrière d'une 2CV Cochonou Vichy rouge, parmi les plus belles heures de ma modeste carrière de journaliste. Plongé au cœur de cette France populaire, 175 km durant, j'ai pris le pouls de ce que ce pays a de plus beau, de plus jouissif. Ces milliers de familles, agglutinées au bord des routes, à applaudir à tout rompre au passage de la Caravane, recevant en retour de leur gratitude un sachet de saucisson, un bob Cochonou…
Des cadeaux publicitaires à la valeur marchande dérisoire mais qui ici prennent une dimension héroïque Il faut le voir pour le croire : un jeté de mini-sachet de saucisson pourrait presque tourner à l'émeute sur les routes du Tour. Un bob ? On frôle un pugilat...
La route ne se distingue presque plus. C'est une marée humaine qui nous transporte maintenant vers l'Alsace verdoyante et vallonnée. Le peuple éructe au passage de nos sept Deuche : « Cochonou, balance ton porc. ». Les « Merci Cochonou », « Vive Cochonou », l'emportent cependant, haut la main. Et ça fait 21 ans que ça dure. 21 ans que la team Cochonou arpente les routes du Tour, une bande de joyeux drilles dont le leitmotiv pourrait être « faire les choses sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. »
Tous drogués à la liesse permanente des routes du Tour, bon enfant et communicative, nourrissante même. Cette France telle qu'on l'aime, et dont on nous parle que trop rarement dans les médias, toutes générations et confessions confondues. Une nation qui n'est pas condamnée à vivre ensemble mais qui veut vivre ensemble, soudée et tendue vers un seul objectif : « donner et recevoir dans un même élan ».
Mais le plus marquant durant cette étape, restera sans doute les regards de ces centaines d'enfants, projetés dans un monde féerique et dont les yeux traduisaient la magie de l'instant : « Dans 20 ans, ils ressortiront leur bob Cochonou, et raconteront à leurs enfants dans quelles circonstances ils l'ont récupéré... ».
Car c'est aussi ça la Caravane du Tour de France, une usine à souvenirs pour chacun d'entre nous et un pan de notre patrimoine. Dans la touffeur ambiante, les derniers kilomètres avant l'arrivée à Colmar deviennent dingues, fantastiques. La Caravane est un antidote à la morosité, l'un des seuls événements sportifs majeurs encore gratuits aussi. Damien avait mille fois raison, ce qui se vit au sein de la Caravane est finalement indescriptible. Et le retour au bureau compliqué.