Devant les juges de la Chambre criminelle spéciale du Tribunal de grande instance (Tgi) hors classe de Dakar dans l'après-midi d'hier, lundi 28 mai, Me Abou Dialy Kane a plaidé l'innocence de son client Alpha Diallo poursuivi pour apologie du terrorisme. Même si le procureur, dans son réquisitoire, a demandé l'acquittement, le prévenu a déjà fait les frais en séjournant deux années en prison sur « aucune base », a dit son avocat.
Arrêté en 2016 en Mauritanie alors qu'il se rendait à son travail, Alpha Diallo est par la suite transféré à Dakar. « On a dé- couvert sur lui un certain nombre d'objets insignifiants et des livres dont personne n'a essayé de voir le contenu », déclarera Me Abou Dialy Kane. Avant d'ajouter : « on fait une procédure portant sur des actes de terrorisme, c'est extraordinaire. On a l'impression que dans ce pays, la liberté ne signifie rien ». Pour la robe noire, on a écroué des gens «sans aucune forme de procès, sans que leurs droits ne soient notifiées».
Même si son client connait les accusés Alpha Diallo, Boubacar Decol Ndiaye, Omar Keïta et autres, cela ne justifie pas sa liaison à des actes terroristes, argue-t-il. Mieux, ajoutera-t-il, «je n'ai identifié aucun acte terroriste dans ce dossier et je voudrais que le parquet me donne le nom d'une seule victime dans ce dossier. Personne n'a été victime, la justice n'a pas le droit de s'égarer dans l'exceptionnel même cela reste un phénomène exceptionnel ». A en croire Me Abou Dialy Kane, le terrorisme n'existe pas au Sénégal. « C'est une simple thématique de l'air du temps, c'est un combat des Occidents et au niveau de l'Occident, ce combat est justifié parce qu'ils sont victimes d'attentats et pourtant dans cet Occident, la lutte judiciaire contre le terrorisme est fait en respect de l'Etat de droit et des règles de la République», soutient l'avocat. Ce qui lui fait dire que les accusés devraient seulement être surveillés «parce que d'un point de vue du droit pénal, on ne peut pas les poursuivre parce qu'ils n'ont commis aucun acte. Il y'a seulement un devoir de surveillance qui incombe à l'Etat ».
Suffisant pour Me Abdou Dialy Kane de dire aux juges : «vous êtes en train de juger un terroriste artificiel». Pour lui, «condamner des personnes sans élément objectif, c'est signer l'acte de naissance du terrorisme dans notre pays». Il a réclamé ainsi l'acquittement d'Alpha Diallo de par son «innocence».
ME OUSSEYNOU NGOM, AVOCAT DE MOUSTAPHA DIATTA «Dans ce pays, on va jusqu'à dire que Ibadou Rahman égal terrorisme»
Sur cette accusation de Moustapha Diatta pour détention de munitions, son autre conseil n'approuve pas le fait que le parquet ait attendu un an après sa détention pour viser ce chef d'accusation. Me Ousseynou Ngom a fait ainsi savoir que la « munition de 4,5 mm de son client n'est pas une arme à feu mais une arme de loisir ». Dans sa plaidoirie, l'avocat a déploré, tout comme Me Babacar Ndiaye, le « fait qu'aider son prochain » soit un délit » se référant à la femme d'Abdallah Ba mais aussi le fait d'avoir échangé avec un présumé terroriste du nom d'Abdourahmane Mendy sur Facebook. « Dans ce dossier, il y a eu une volonté manifeste de mettre Moustapha Diatta fondamentalement dans les lieux de détention et de continuer de l'enfoncer malgré l'insuffisance de documents », a déclaré la robe noire. Pis, il a relevé que « beaucoup de personnes disent que le dossier est celui de la stigmatisation d'une communauté des Ibadous Rahman et je peux être d'avis avec eux ». Et pourtant, explique Me Ousseynou Ngom, « il y a des personnes qui ont fait l'apologie du terrorisme et qui ne sont pas là. Dans ce pays, on va jusqu'à dire que Ibadou Rahman égal terrorisme ». Me Ousseynou Ngom pré- sentera par ailleurs son client comme étant un « héros » du fait de son emploi mais aussi du fait qu'il est membre d'une association dirigée par Imam Guèye « qui fait le tour des hôpitaux et qui enterre les morts qui ne sont pas identifiées ». Il faut souligner que la robe noire n'a pas du tout été contente de la façon dont le journal Libération a présenté son client. « Le journal s'est permis de sortir des éléments qui figuraient dans le procès-verbal mais aussi de permettre à côté de la photo de Moustapha Diatta celle de Zaïd Ba, un présumé terroriste pour vouloir faire comprendre qu'ils se connaissent », a regretté l'avocat.
ME KHOUREÏCHI BA INVOQUE LES EVENEMENTS DE THIAROYE 44
Toujours pour défendre l'accusé Moustapha Diatta, Me Khoureïchi Ba a déclaré que le procès est une « consécration d'une enquête coûteuse et bâclée avant terme ». Pour lui, rien n'explique la détention de son client. Dans sa plaidoirie qu'il a rédigée avant de sortir « insatisfait » de l'audience, l'avocat martèle que ce procès pour apologie du terrorisme est le dossier judiciaire dans lequel les « peines les plus lourdes ont été requises ». Ce qui est paradoxal dans tout ça, explique l'avocat est que le champ infractionnel repose sur des « incriminations flambant neuves mais également sur le chemin de la recolonisation et une stigmatisation de l'Islam qui peut engendrer des conséquences ». Me Khoureïchi Ba est allé jusqu'à comparer le procès aux événements de Thiaroye 1944. « L'Islam ne serait plus la religion terroriste mais la religion terrorisée. Nous sommes dans la même situation au crime de masse en 1944 à Thiaroye où la France avait déclaré 37 morts alors qu'il y avait près de 600. C'est une affaire grave pour présenter les tirailleurs sénégalais comme étant dangereux et qui voulaient renverser le pouvoir colonial », soutient la robe noire. Suffisant pour lui de demander l'acquittement de son client car « c'est la France qui nous colle cette procédure et il est question de crédibiliser les poursuites »
ALIOUNE TINE «Mettre un terme à la polémique politico-religieuse et engager le dialogue »
La polémique politico-religieuse qui enfle de jour en jour doit absolument s'arrêter car elle constitue une menace pour l'unité du pays et n'apporte pas grand chose à l'islam ni au débat national. Ce mois saint de ramadan Kareem est un mois de tolérance, de pardon et de solidarité. Nous sommes à la veille d'une élection aux enjeux élevés dans un contexte où le précontentieux électoral est lourd, les crises politiques économiques, sociales et écologiques patentes ou latentes sont des bombes à retardement. Jamais dans l'histoire récente de notre pays, le dialogue politique responsable, sincère et inclusif n'aura été aussi nécessaire et indispensable. La responsabilité des autorités est de l'engager sans délai en usant des moyens appropriés avec l'aide de toute la société civile et de bonnes volontés. À défaut il faut se préparer à un processus électoral tendu et une situation postélectorale confuse et incertaine.