2 Mai 2018

Sénégal: Procès pour apologie du terrorisme - Les confessions de Makhtar Diokhané

La Chambre criminelle spéciale du Tribunal de grande instance hors classe de Dakar, statuant sur l'affaire relative à l'apologie du terrorisme opposant l'Etat du Sénégal à l'imam Alioune Badara Ndao (imam Aliou Ndao) et co-accusés, a auditionné avant-hier, lundi 30 avril, 13e jour du procès des présumés terroristes, Makhtar Diokhané.

Considéré comme le principal recruteur des candidats sénégalais au djihad, ce co-inculpé de l'imam Alioune Badara Ndao est ainsi revenu sur les raisons de sa présence au Nigéria, le projet d'implantation d'une base «djihadiste» dans la zone couvrant le Sénégal, la Gambie et les deux Guinées, ses relations avec Imam Ndao. A la barre Makhtar Diokhané a été également cuisiné sur ses relations avec le chef de Boko Haram, Aboubakar Shekau, ses connaissances des groupes Al Qaïda, Daesh et le terroriste présumé Oumar Diaby.

MAKHTAR DIOKHANE A LA BARRE : «Daesh avait un projet de création d'une base djihadiste au Sénégal, en Gambie et les deux Guinées»

A la barre de la Chambre criminelle spéciale du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, statuant dans le cadre de l'affaire relative à l'apologie du terrorisme opposant l'Etat du Sénégal à l'imam Aliou Ndao (Alioune Badara Ndao) et co-accusés, le lundi 30 avril dernier, 13e jour d'audience, Makhtar Diokhané a levé un coin du voile sur le projet d'implantation d'un bastion djihadiste entre le Sénégal, la Gambie et les deux Guinées. Interrogé par le président de la Chambre criminelle spéciale de Dakar, le juge Samba Sall, sur ce projet, celui qui est considéré comme le principal recruteur de candidats sénégalais au djihad pour le compte du groupe terroriste Nigérian Boko Haram a répondu par l'affirmatif, tout en niant être impliqué ni de loin ni de prêt à ce projet.

Mais, invité par le juge Samba Sall à expliquer au tribunal le mode opératoire retenu dans le cadre de l'installation de ce foyer de l'Etat islamique (Ei ou Daesh) au niveau de cette zone regroupant le Sénégal et ses trois voisins directs, Makhtar Diokhané, prenant à nouveau la parole, a commencé par indiquer qu'il ne se rappelait pas du contenu de ce projet qu'il a reçu via un forum de discussion dont il était membre sur Telegram. Avant de finir par révéler: «je n'en suis ni le concepteur, ni le destinataire. Mais d'après ce que j'ai lu, ce travail devait commencer en Gambie par un coup d'Etat pour remplacer le gouvernement (du président Yahya Jammeh) par Daech à l'horizon 2016-2017 avant d'étendre le mouvement aux autres pays».

Poursuivant sa révélation concernant ce projet d'installation d'un Etat islamique au niveau de la zone cité précédemment, celui qui est présenté comme un combattant de Boko Haram a informé le tribunal que ce plan visait les Français vivant au Sénégal. Loin de s'en tenir là, Makhtar Diokhané, tout en soulignant qu'il n'a point d'idées de djihadistes, a aussi déclaré avoir été informé de l'adhésion des combattants sénégalais présents dans les rangs de Daesh en Lybie à ce projet.

«JE VOULAIS FOURNIR DES INFORMATIONS AUX GENDARMES SENEGALAIS, MAIS... »

Revenant alors à la charge, dans le but de soutirer davantage d'informations à l'accusé concernant ce projet d'installation d'un bastion djihadiste au Sénégal, le président du la Chambre criminelle spéciale lui rappelle une partie de ses déclarations devant le juge instructeur, notamment quand il disait que le projet visait à détruire les bâtiments administratifs et des banques mais aussi l'attaque de casernes et de camps militaires. Et que pour cela, il ne fallait pas dépasser 300 hommes pour ces opérations. M. Diokhané répond: «j'ai dit cela parce que je voulais fournir des informations aux gendarmes sénégalais, mais c'était juste des rumeurs, je n'avais aucune certitude».

A la question du président de savoir pourquoi il n'avait pas «alerté les autorités au sujet de ce message concernant ce projet d'installation d'un bastion de Daesh au Sénégal», Makhtar Diokhané a justifié son silence, d'une part, par son calendrier chargé mais aussi l'absence de crédibilité à ses yeux de ce projet, de l'autre. «Je ne pouvais pas en parler aux autorités vu que j'étais en route pour un voyage», se justifie-t-il. Avant d'ajouter: «je considérais que ce projet n'est pas sérieux, c'est pourquoi je n'y ai pas adhéré car pour installer une unité pour le Daesh, il fallait avant tout avoir des membres de Daesh, ici. Ce qui n'était pas le cas».

MAKHTAR DIOKHANE SUR SES LIENS PRESUMES AVEC DES GROUPES TERRORISTES : «Je n'ai travaillé ni avec Daesh, ni avec Boko Haram»

Considéré comme étant le principal recruteur de djihadistes sénégalais dans le cadre du procès pour apologie du terrorisme opposant l'Etat du Sénégal à l'imam Aliou Ndao et co-prévenus, Makhtar Diokhané a nié tout lien avec des groupes terroristes notamment «Etat islamique, Al Qaïda et Boko Haram». À la barre de la Chambre criminelle spéciale, le lundi 30 avril dernier, 13e jour du procès des présumés djihadistes, pour les besoins de son audition dans le cadre de cette affaire où il est poursuivi, avec 29 autres personnes dont l'imam Aliou Ndao, Makhtar Diokhané est formelle. «Je n'ai travaillé ni avec Daesh ni avec Boko Haram. Je ne suis pas avec Daesh parce qu'ils ne m'ont pas convaincu de la nécessité d'installer une croyance ou un comportement par la force». Par ailleurs, répondant au juge Samba Sall qui lui avait signifié les chefs d'accusations qui pesaient sur sa tête, notamment les délits d'actes terroristes, association de malfaiteurs, entreprise terroriste, actes de terrorisme, menace contre les autorités publiques, blanchiment de capitaux et apologie du terrorisme, l'inculpé a dit ne pas reconnaître ces faits qui lui sont reprochés.

A la barre, Makhtar Diokhané, alias Abu Anwar, né le 14 août 1986 à Médina-Gounass / Kaolack, qui a préféré s'exprimer en langue wolof, a également nié avoir fait une formation en arts martiaux de même que militaire. Cependant, répondant à une question du président de la Chambre criminelle spéciale, Makhtar Diokhané, qui avait contesté au départ avoir pris part à une réunion à Richard-Toll en période de Ramadan aux côtés du franco-sénégalais Omar Diaby alias Omsen, Moustapha Diop, respectivement membres d'Al Qaïda et de Deash, a finalement reconnue sa présence en précisant tout de même qu'il y était sur une invitation.

Interpellé sur l'objet des discussions lors de cette rencontre, il a indiqué avoir entendus que des gens évoquaient des problèmes de Deash et de Al Qaïda. Mais, prenant la parole, le président du tribunal décide alors de lui rafraîchir la mémoire en lui rappelant sa déclaration sur ce point devant le magistrat instructeur. «Vous aviez déclaré au Code D60/4 que vous aviez dit que Omar Diaby alias Omsen faisait partie d'Al Qaïda et que Moustapha Diop faisait partie du Deash. Mais certains étaient pour Deash et d'autres étaient pour Al Qaïda, et le renforcement du pouvoir des Sunnites au Sénégal. Vous le confirmez ?».

Répondant, il a commencé dans un premier temps par nier, avant de reconnaitre par la suite, sur instance du président du tribunal, une partie de ces déclarations. «Je ne l'ai pas dit de cette manière, j'avais dit: "quand ils parlaient de Daech et Al Qaïda, il y'avait divergence." J'ai pris la parole pour demander qu'on laisse chacun partir et décider, une fois sur le terrain, comment il compte appliquer la Charia».

Invité également à éclairer le tribunal sur comment il a connu Omar Diaby, alias Omsen, Makhtar Diokhané souligne que cela s'est fait par l'entremise d'un certain Moustapha Faye qui l'aurait mis en rapport avec ce dernier. «Il m'a appelé un jour, quand j'étais en Mauritanie, pour me dire qu'il va nous mettre en relation avec un nommé Omsen parce que je m'intéressais aux questions liées à la religion et au terrorisme».

«IMAM NDAO A LES MEMES CONVICTIONS QU'AL QAÏDA»

Cuisiné sur ses relations avec Imam Alioune Badara Ndao, Makhtar Dokhané, soulignant qu'il a connu Imam Ndao à Kaolack à l'époque où il étudiait encore, a toutefois révélé que ce dernier ignorait tout sur ses déplacements hors du Sénégal. «Nous avions une maison à Kaolack. Et, c'est lorsque j'ai quitté Dakar pour poursuivre mes études à Kaolack que j'ai connu Imam Aliou Ndao. J'ai alors commencé à fréquenter son daara, je priais derrière lui à la mosquée et j'avais l'habitude d'écouter ses prêches. À chaque fois que je revenais au Sénégal, j'allais le voir. Il a un discours convaincant et humain. Ses propos m'ont beaucoup forgé», laisse entendre Makhtar Diokhané.

Et de préciser: «Imam Ndao ne savait pas grand-chose de mes actes. Il ignorait tout de moi. Je ne lui ai jamais offert d'argent. Ni du Sénégal, ni depuis le Nigéria, même s'il prend en charge mon fils». Interrogé sur les positions religieuses de l'imam Alioune Badara Ndao par rapport au djihad par le juge Samba Sall, M. Diokhané déclare: «Imam Ndao a les mêmes convictions qu'Al Qaïda sur la nécessité d'appliquer la Charia. La seule différence, c'est leur manière d'y parvenir».

CONTENU DE SON ENTREVUE AVEC ABOUBAKR SHEKAU, LE CHEF BOKO HARAM : Makhtar Diokhané maintient le suspens

Makhtar Diokhané a avoué avoir rencontré le chef de Boko Haram, Aboubakr Shekau, pour négocier la libération de ses compatriotes sénégalais coincés dans le fief du groupe djihadiste nigérian. Cependant à la barre, avant-hier lundi, au 13e jour du procès sur le terrorisme, le prévenu jugé comme étant le présumé cerveau de sa bande n'a pas donné d'amples explications sur le contenu de son entretien avec A. Shekau. Malgré les nombreuses insistances du président Samba Kane, l'accusé a dit que le débat ne tournait qu'autour des points de divergence entre Shekau et ses concitoyens, à savoir la détention de la carte d'identité par le musulman et son devoir de faire l'hégire. Makhtar Diokhané rappelle avoir réussi à convaincre Abubakar Shekau grâce à son analyse de ces deux points.

Une déclaration qui a poussé le président du tribunal à demander à l'accusé s'il n'avait pas peut-être séduit le chef de Boko Haram ? Dans sa réponse, Makhtar Diokhané n'a pas convaincu le président Samba Kane qui s'est posé la question de savoir comment se fait-il qu'en presque huit heures de discussion, Makhtar Diokhané et son hôte n'ont parlé que de ces deux points ? Makhtar Diokhané a répondu qu'ils ont été coupés dans leur discussion, de temps à autre, par des délégations qui venaient régulièrement rendre visite à Aboubakar Shekau. Le fait qu'Abubakar Shekau accepte de le rencontrer malgré les nombreuses tentatives infructueuses de ses concitoyens est du au fait, selon l'accusé, qu'il bénéficiait d'une notoriété à Andack grâce à la gestion du daara qui lui a été confiée. Makhtar Diokhané a soutenu que c'est après leur rencontre qu'il s'est rendu compte qu'Abubakar Shekau lui vouait une grande estime.

Interpellé sur une supposée promesse qu'il aurait tenu à l'endroit de Shekau pour obtenir la libération des Sénégalais, Makhtar Diokhané a rétorqué qu'aucune entente n'a été établie. S'agissant de sa médiation, Makhtar Diokhané a indiqué qu'elle n'a été motivée que par un souci de venir en aide à des compatriotes en difficultés, après avoir été saisi par Aboubacry Gueye sur leur situation. Il a nié avoir connu Abubakar Shekau avant cette rencontre. Mieux ; a-t-il dit, ces Sénégalais se tournaient vers lui en cas de besoin. Après avoir obtenu leur libération, la consigne a été, selon Makhtar Diokhané, que ses compatriotes libérés restent à son écoute pour des instructions sur la conduite à tenir et aussi qu'il les mettrait en rapport avec un sage qui les guiderait dans leurs actes, la prochaine fois, pour éviter qu'ils ne tombent dans des erreurs. Il faisait référence à Imam Aliou Ndao en parlant ainsi, a-t-il ajouté.

En quittant le fief de Boko Haram au Nigéria, Abubakar Shekau lui a remis 6 millions de nairas. Un montant estimé à 15 millions de F Cfa dont la moitié lui revenait en guise de cadeau. Le reste, c'était pour les frais de transport de ses amis.

CERVEAU PRESUME DES ACCUSES : Makhtar Diokhané, Moustapha Diop et le voyage au Nigéria

A la barre de la Chambre criminelle spéciale, avant-hier lundi, 13e jour de procès pour apologie du terrorisme, Makhtar Diokhané a soutenu qu'il s'est rendu au Nigeria grâce à l'aide de Moustapha Diop, du nom de cet étudiant sénégalais qui était basé en Arabie Saoudite et qui aurait financé le voyage de beaucoup de ses co-accusés. Il a connu ce dernier grâce à Aboubacry Gueye qui lui a donné son contact quand il était en Mauritanie. Moustapha Diop qu'il appelle également Mouhamed Diop lui a négocié un contrat d'enseignant (de maître coranique) au Nigeria pour un coût de 1500 euros. C'est ainsi qu'il a décidé d'aller s'installer dans ce pays.

Auparavant, le même Moustapha Diop lui a remis 65.000 euros, un financement obtenu en Arabie Saoudite. Son voyage a été aussi financé par Moustapha Diop qui, par l'entremise d'Ibrahima Ba, frère de Zeid Ba décédé au combat, lui a remis 150.000 F Cfa. Makhtar Diokhané est né en 1986. Il est marié à trois épouses dont les deux, Amy Sall et Coumba Niang, ont été arrêtées dans le cadre de la procédure. La troisième, Maïmouna Ly, l'avait rejoint au Nigéria. Elle y vit toujours, avec la fille issue de son union avec Makhtar Diokhané. Il a arrêté ses études en classe de Première S. Avant son départ pour le Nigéria, il a séjourné à plusieurs reprises en Mauritanie où il exerçait le métier de maître coranique. Makhtar Diokhané était membre de l'Association des musulmans de Dakar. Il fut aussi militant de l'Association des musulmans du Sénégal.

ATTAQUE DE LA MOSQUEE DE L'IMAM ABDOU KARIM NDOUR A DIOURBEL : Les réunions de jeunes sunnites et les préparatifs de la riposte

Après une divergence d'idées entre l'Imam Abdou Karim Ndour et des fidèles d'une confrérie à Diourbel, Makhtar Diokhané a soutenu que, sur invite de Moussa Mbaye, ils ont commencé à tenir des réunions pour réfléchir sur la stratégie à tenir en cas de nouvelles attaques. Les rencontres de jeunes sunnites tenues à Fass Mbao et Guédiawaye ont servi de prétexte pour remobiliser les troupes. Makhtar Diokhané a avoué à la barre de la Chambre criminelle spéciale que c'est par la suite qu'il a été informé qu'une équipe duement préparée aux arts martiaux a été aussi formée pour une riposte en cas d'attaque.

Interpellé aussi bien par le substitut du procureur, Aly Ciré Ndiaye que par le président du tribunal, Samba Kane, sur l'acquisition d'armes par ce groupe de jeunes, Makhtar Diokhané a indiqué en avoir été informé qu'à travers des rumeurs. Pour Makhtar Diokhané, il a arrêté d'assister aux rencontres quand les choses ont commencé à prendre une autre tournure. Le président Samba Kane lui a demandé que si ce n'était pas la sensation d'être épié par la police qui a motivé son abandon. L'accusé à répondu par la négative. Makhtar Diokhané est parti par la suite s'installer en Mauritanie.

Par ailleurs, à la barre du tribunal, l'accusé a révélé que bien après son départ pour la Mauritanie, il a été contacté à nouveau par Aboubacry Gueye pour la reprise des réunions. Comme invité, dit-il, il a eu à participer à une réunion à Richard-Toll. Pendant cette rencontre, les participants étaient divisés entre le combat dans les rangs de Daesh ou parmi les membres d'Al Qaïda. Son avis, à lui, était, dit-il, de ne faire choisir à une quelconque personne un camp pour combattre, mais il ne fallait pas non plus empêcher à la personne désireuse de se rendre dans l'une ou l'autre base d'accomplir son souhait.

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