La loi sur le parrainage citoyen pour tous les candidats à la présidentielle, adoptée jeudi dernier par la représentation parlementaire et censée rationaliser les candidatures et/ou les partis politiques, ne pose-t-elle pas plus de questions qu'elle n'en résout ? A quelques encablures de son introduction dans le Code électoral, force est de reconnaître que, malgré les assurances données par le pouvoir en place, en termes de comptabilité, de validation des signatures et de recours, moult interrogations côtoient les modalités pratiques de l'applicabilité de la loi. Ainsi qu'en témoignent les experts électoraux Valdiodio Ndiaye et Mamadou Seck, respectivement membre du Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce) et coordonnateur de l'Unité d'assistance électorale à Gorée Institute. Des spécialistes qui dégagent pour Sud Quotidien des pistes de solution, non sans insister particulièrement sur la nécessité de la relance du dialogue entre pouvoir et opposition avant la prochaine étape de ce processus qui consiste à la promulgation de la loi sur le parrainage et son insertion dans le Code électoral. A moins de privilégier le contentieux préélectoral !
Mamadou Seck, expert électoral et coordonateur de l'Unité d'assistance électorale à Gorée Institute : «Il serait important de s'aménager des étapes intermédiaires avant le retour de la loi à l'Assemblée»
« Le principe du parrainage est pertinent. Cependant, il convient de se poser des questions, tant sur l'opportunité que sur les modalités. Sur cette dernière question des modalités, permettez que l'on partage l'expérience de la France qui avait institué en 2012 une Commission de rénovation et de déontologie de la vie politique française à la tête de laquelle on avait Lionel Jospin. Le parrainage citoyen fut proposé, à hauteur de 150 000 signatures pour le parrainage d'un candidat. Cette proposition fut rejetée et la raison principale fut l'impossibilité de la collecte et de la vérification des signatures des citoyens. Ce qui est valable pour la France l'est davantage pour le Sénégal dans un contexte où certains citoyens ne savent pas signer. Pour cette raison, nous suggérons à la limite de revoir à la baisse le nombre de signatures afin de faciliter la collecte et la vérification, également prévoir des possibilités permettant de faciliter le travail de collecte, mettre en place des cadres d'accompagnement dès que la campagne de collecte des signatures est lancée, initier des programmes nationaux, d'information, de formation, d'éducation à l'endroit des citoyens afin d'amenuiser les risques de rejet et/ou d'annulation des signatures. Enfin, si le principe du parrainage citoyen est acquis, il faudra à l'avenir ne plus se retrouver dans une situation où une frange de la population n'a pas accès à sa carte d'identité, si tant est que l'une des conditions de parrainer un futur candidat est de détenir un certain nombre d'informations figurant sur la carte d'identité fusionnée à la carte d'électeur.
Il convient également de reconnaître que l'Assemblée nationale est le cadre institutionnalisé de discussion dans une démocratie. Ainsi donc, c'est dans ce cadre que la discussion se poursuivra relativement à ce débat et la prochaine étape sera l'insertion dans la loi électorale de cette nouvelle disposition. Toutefois, d'autres étapes non institutionnelles sont souhaitables au nom de la volonté d'adopter une approche consensuelle, entre maintenant et la promulgation et entre la promulgation et son insertion prochaine dans la loi électorale. On ne dialogue jamais trop dans une démocratie, il serait donc souhaitable de poursuivre les discussions dans des instances intermédiaires ouvertes, ce d'autant que les meilleurs modèles électoraux et les meilleurs processus sont les plus inclusifs.
Par ailleurs, le principe d'inclusivité est un critère à l'aune duquel on apprécie une démocratie répondant aux normes et standards internationaux. Il serait intéressant de convoquer l'expérience de 2012 avec le travail du Comité de veille des élections à la tête duquel on avait le doyen Mazide Ndiaye. C'est le lieu de lui rendre un vibrant hommage pour l'excellent travail qu'il avait réalisé. Ce Comité de veille était un cadre inclusif, performant, inédit de dialogue, au-delà des missions techniques qui lui étaient assignées. Pour rappel, ce Comité de veille avait fait un travail efficace de revue du Code électoral, adopté alors à l'Assemblée nationale par la suite et dans un contexte pourtant plus critique. La raison de sa réussite fut sa nature inclusive. Nous suggérons donc de poursuivre le dialogue en vue d'un consensus fort et d'un processus inclusif...
En résumé, il serait important de s'aménager des étapes intermédiaires avant le retour de la loi à l'Assemblée nationale, étapes durant lesquelles les discussions se poursuivront car la Loi n'est pas une panacée, de même, il n'est pas dit que tous les phénomènes de société sont réglés par voie législative. Cela peut être une solution nécessaire mais pas suffisante. À travers le dialogue, opportunité est donnée de convoquer d'autres ressorts endogènes permettant une appropriation de la loi, mais également d'arrondir les positions et d'atteindre le consensus et éviter les augures de tensions et de contentieux post-électoraux».
Valdiodio Ndiaye, expert électoral et membre du collectif des organisations de la société civile pour les élections (COSCE) : «Je préconise la mise en place d'une commission avec des attributions juridiques...»
Le processus qui a conduit à l'adoption de la loi sur le parrainage est à déplorer parce qu'on ne change pas les règles du jeu durant le processus électoral. Maintenant, pour éviter le blocage du processus électoral, on doit chercher un consensus avant la prochaine étape qui consiste à la modification du code électoral en vue de l'introduction de ce système de parrainage. On doit tout faire pour arriver à système équitable fondé sur l'équité pour que, aucun candidat ne puisse souffrir de ce parrainage. Maintenant, des initiatives seront certainement prises par certains partis politiques pour faire un recours au niveau du Conseil constitutionnel pour casser la loi mais, au niveau de la société civile, des collègues dont moi, y compris estiment la nécessité de retarder la promulgation de cette loi pour donner une chance au dialogue entre les différents acteurs. Nous devrons tout faire pour qu'il y ait une large concertation entre les acteurs. Et la première chose est qu'il faudrait que les autorités soient très ouvertes aux partis politiques et à la société civile et procéder à l'évaluation de cette loi et de manière rigoureuse. Autrement dit, faire un tableau avec d'un côté, l'ensemble des inconvénients relatifs à l'application de cette loi sur le parrainage et d'un autre, l'ensemble des avantages de cette loi.
Ensuite, il s'agit de faire la balance entre tous les points en mettant l'accent sur les modalités pour chaque point : est-ce que c'est bon ou ce n'est pas bon ? Car, en dépit de tout ce qui a été dit à propos du parrainage, moi, je pense en l'état actuel de la réflexion que c'est une loi qui ne rationalise pas les partis politiques mais plutôt les candidatures dont celles pour la prochaine présidentielle, d'où les réactions de l'opposition qui estime que cette loi vise l'élimination des candidats. En plus, le volet signature pour l'authentification des listes qu'on doit déposer pour les parrainages pourrait poser le problème de l'évolution de la signature de certains citoyens. Pour sortir de cette situation, je préconise la mise en place d'une commission à laquelle on donnera des attributions juridiques au regard de la loi pour que ça soit quelque chose d'institutionnel pour pouvoir contrôler toutes les signatures en présence de l'ensemble des représentants des candidats à qui on va donner des pouvoirs de recours internés avant le transfert des documents au niveau du Conseil constitutionnel pour une validation définitive.
Ensuite, j'ai des réserves au niveau de l'applicabilité de cette loi si on doit se limiter juste au niveau des noms, prénoms, numéros de cartes d'électeur et d'identité des électeurs, de la signature des électeurs. Parce que dans le cadre de la loi, le Code électoral exige que chaque candidat à une élection ait à sa disposition l'intégralité de la liste de l'ensemble des électeurs. Dans ce fichier, il y a des noms, prénoms, numéros de carte d'identité et carte d'électeur de tous les électeurs. Aujourd'hui, pratiquement, tous les partis politiques qui avaient pris part aux Législatives du 30 juillet dernier ont le fichier électoral par devers-eux. Donc, les données de tous les 6 millions d'électeurs et plus. Si les responsables de ces formations politiques sont des personnes retorses, ils peuvent juste reprendre ce document-là, sélectionnent les noms jusqu'à obtenir le nombre minimal de 52 000 signatures exigées et constituer leur dossier de candidature. Ça sera donc facile pour trouver le nombre des 0.8% soit 52 000 signatures si on se limite à dire qu'il faut donner les noms, prénoms, numéros de carte d'identité et carte d'électeur de tous les électeurs. Je pense donc qu'on pourrait réfléchir à d'autres alternatives, notamment en ajoutant d'autres données ou caractères comme éléments rigoureux d'authentification des parrains.