Si vous n’avez pas suivi l’affaire du « mémo » déclassifié par Donald Trump
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Si vous n’avez pas suivi l’affaire du « mémo » déclassifié par Donald Trump

Une note, rendue publique vendredi, accuse le FBI d’abus de pouvoir durant son enquête concernant de possibles liens entre la Russie et l’équipe de Trump.

Le Monde | • Mis à jour le | Par

C’est le sujet politique brûlant du moment aux Etats-Unis. Une note de quatre pages, compilée par la commission du renseignement de la Chambre des représentants et rendue publique, vendredi 2 février, accuse le FBI d’abus de pouvoir concernant la mise sur écoute, en pleine campagne présidentielle, de Carter Page, un membre de la campagne présidentielle républicaine.

C’est le président américain, Donald Trump, qui a donné l’ordre de la levée du secret défense, vendredi, autorisant de facto la publication du mémorandum.

  • Qui est Devin Nunes, l’auteur de la note ?
Devin Nunes, à Washington, le 24 octobre.

Elu républicain de la Californie, Devin Nunes a rédigé cette note. Il a servi dans l’équipe de transition de Donald Trump et préside la commission du renseignement de la Chambre des représentants.

Il ne s’agit pas d’un inconnu. Après le tweet du 4 mars 2017 de Donald Trump accusant Barack Obama d’avoir mis sur écoute la Trump Tower pendant la campagne de 2016, Devin Nunes avait voulu établir si l’administration précédente avait demandé la mise sous surveillance du candidat républicain pendant la campagne. Peu de temps après que la presse eut découvert que la Maison Blanche avait fourni à Devin Nunes des informations en ce sens — donnant le fort sentiment que l’élu californien était en service commandé —, ce dernier s’était momentanément récusé de la commission du renseignement, le temps d’une enquête éthique à son égard.

Lindsey Graham, sénateur républicain de la Caroline du Sud, avait alors comparé son comportement à celui de « l’inspecteur Clouseau » — connu pour accumuler les bourdes et pour s’engouffrer sur de fausses pistes avec une absence de flair qui n’honore ni la gent policière ni la France —, estimant qu’il avait perdu toute crédibilité par sa volonté d’obéir aux ordres de la Maison Blanche.

En janvier, une rumeur persistante, portée par le hashtag #ReleaseTheMemo, évoque l’existence d’une note rédigée par Devin Nunes, note qui prouverait l’absence de liens entre la Russie et Donald Trump. Ne restait à ce dernier qu’à donner l’ordre de déclassifier le mémorandum.

  • De quoi parle la note ?
Le tampon barré « TOP SECRET – NO FORN » (« no foreign nationals – pas de ressortissants étrangers ») en bas de page de la note publiée par Devin Nunes, vendredi 2 février.

La note tient en trois pages et demie, compilées par l’équipe de Devin Nunes. Ce dernier l’a remise le 29 janvier à la Maison Blanche, où des juristes l’ont épluchée pour vérifier si elle portait, ou non, atteinte à la sécurité nationale.

Le mémorandum affirme que la surveillance de Carter Page, conseiller aux affaires internationales de Donald Trump durant la campagne présidentielle, était politiquement motivée parce que improprement autorisée par les autorités compétentes. Pour preuve, la prolongation de sa mise sur écoute en mars 2017. Neuf mois plus tôt, ce dernier s’était pourtant rendu à Moscou pour rencontrer des officiels russes, ce qui avait alerté le FBI. Le magasine Time rappelle que Carter Page se vantait en août 2013 d’être conseiller auprès du Kremlin.

Le FBI et le ministère de la justice ont demandé, selon la note, cette mise sur écoute en vertu du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), qui permet aux autorités fédérales d’espionner des citoyens américains suspectés d’agir comme agents d’un pays étranger.

Mais les deux agences auraient omis de signaler au juge que leur requête se fondait sur le « dossier Steele », établi par un ancien agent du renseignement britannique, à l’époque informateur du FBI et recruté par Fusion GPS. Pour M. Nunes, ce dossier « forme une part essentielle à la demande [de surveillance] de Carter Page ». Or, selon l’élu, l’agent britannique a plusieurs fois exprimé son opposition à Donald Trump, d’autant que « Steele a été rémunéré 160 000 dollars [128 000 euros] par le comité national démocrate et la campagne Clinton ».

En résumé, le mémo de Davin Nunes accuse le FBI de ne pas avoir informé les personnes ayant accepté la surveillance de Carter Page des liens entre les démocrates et le dossier Steele. Ces relations sont pour les soutiens du président Trump la preuve ultime des connivences entre le FBI, le département de la justice et les démocrates, tous supposément montés contre le président des Etats-Unis.

  • Pourquoi le mémorandum a-t-il été publié ?
Donald Trump, lors de son discours sur l’état de l’Union, le 31 janvier.

Cette note a déjà fait une victime : la concorde à laquelle appelait le président américain face au Congrès lors du discours sur l’état de l’Union, mardi 30 janvier. Républicains et Donald Trump d’un côté, démocrates de l’autre, les deux camps se sont écharpés sur les raisons de la levée du secret défense de cette note.

Les républicains ont poussé à la publication du rapport parce qu’ils estiment important d’informer le peuple sur les abus des écoutes que permet le FISA — même s’ils ne prodiguent aucune solution pour amoindrir le problème. Poussés par leur base — et peut-être aussi par des robots — via le hashtag #ReleaseTheMemo, les élus républicains ont vite compris l’intérêt politique à publier un document qui avaliserait l’offensive anti-FBI lancée par Donald Trump depuis le début de l’enquête de Robert Mueller.

Pour Donald Trump, le mémorandum prouverait surtout qu’il n’a rien à voir avec les ingérences russes.

« Ce mémo blanchit complètement Trump dans l’enquête. Mais la chasse aux sorcières russes ne s’arrête jamais. Il n’y a pas eu de collusion et il n’y a pas eu d’obstruction […]. C’est la honte de l’Amérique !

Pour les élus démocrates, Devin Nunes a rédigé un dossier à charge, à partir d’informations secrètes qui pourraient menacer la sécurité nationale. Pour y répondre, les membres démocrates de la commission ont écrit un contre-rapport de dix pages, mais la commission du renseignement (treize républicains et neuf démocrates) s’est pour l’instant opposée à sa publication.

Dans une lettre à Paul Ryan, président (républicain) de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, chef de groupe de l’opposition démocrate à la Chambre, a écrit :

« On a soumis à notre attention le fait que le membre du Congrès Nunes avait délibérément et matériellement modifié la teneur du mémorandum depuis qu’il a été adopté par les républicains de la Chambre. »

La direction du FBI, qui a d’ores et déjà répliqué en rappelant, mercredi, qu’elle prenait « au sérieux ses obligations [pour obtenir des autorisations d’enquêter] et le respect des procédures », a elle aussi mis en doute le contenu produit par Devin Nunes :

« Comme nous l’avons exprimé lors de notre premier examen, nous sommes très inquiets concernant des omissions matérielles de faits, qui affectent de manière fondamentale l’exactitude du rapport. »
  • Quelles pourraient être les conséquences de cette note ?
Le ministre adjoint à la justice, Rod Rosenstein.

Seule la publication intégrale des documents présentés pour obtenir l’autorisation de surveillance FISA, sans doute classifiés pour la majorité d’entre eux, permettrait de mesurer la pertinence du rapport Nunes. Néanmoins, les répercussions peuvent — même sans publication nouvelle — être de plusieurs ordres.

La question qui se pose est désormais de savoir ce que fera Christopher Wray, le directeur du FBI, nommé en juin par Donald Trump, puis confirmé par le Sénat, après le limogeage de James Comey. La confiance n’étant plus de mise, la Maison Blanche craint qu’il ne mette sa démission dans la balance, rapporte CNN.

Exposant ses craintes dans le Washington Post, Adam Schiff, principal représentant du Parti démocrate au sein de la commission du renseignement, a estimé que cette note était un prétexte fourni à Donald Trump pour faire le ménage au sein du FBI et du ministère de la justice. Il pourrait ainsi limoger Rod Rosenstein, ministre adjoint à la justice, nommément présent dans le mémorandum et que le président n’estime pas assez loyal. Robert Mueller pourrait alors être chapeauté par quelqu’un de plus fidèle à Donald Trump, ce qui pourrait nuire à l’enquête. Plus prosaïquement, Donald Trump pourrait simplement en profiter pour renvoyer Robert Mueller, ce qui ne manquerait pas de provoquer encore plus de remous politiques.

Par ailleurs, Chuck Grassley, le président de la commission judiciaire du Sénat, a lui aussi déclaré que la version expurgée d’un second mémorandum pourrait être déclassifiée et donc accessible au public. Cette nouvelle note devrait à nouveau porter sur l’agent britannique Christopher Steele et sur ses liens avec le FBI.

En attendant, des sources républicaines proches de Devin Nunes ont assuré à plusieurs médias avoir trouvé d’autres exemples d’irrégularités à motif politique, entre autres au FBI, au ministère de la justice et au département d’Etat.

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