
En ce matin du mois de janvier, la brume humide a du mal à se lever sur Genève et sur le célèbre CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Les bâtiments grisâtres, plus longs que hauts, se succèdent, repérables par de simples numéros. Un long cylindre bleu, posé au ras du sol, rappelle le slogan du laboratoire, « l’accélérateur de science ». C’est une pièce identique à celles constituant une partie du célèbre accélérateur de particules qui a permis la découverte du boson de Higgs, une pièce manquante au puzzle de la physique en 2012. Et le CERN a bien l’intention de continuer d’accélérer la connaissance en 2018 dans un autre domaine.
Ce dernier s’épanouit dans un bâtiment qui se dévoile, après un virage. Telle une publicité, un grand panneau bleu fend le brouillard : « Antimatter factory ». L’usine à antimatière du CERN est devant nous.
Antimatière ? Cette étrange substance qui fleure bon la science-fiction est comme une sœur jumelle de la matière. Une sorte de monde inversé : même masse, mais une charge électrique opposée. Il existe ainsi des antiélectrons (appelés aussi positrons), des antiprotons (les protons constituent le cœur des noyaux atomiques) ou des antineutrons (dont les constituants internes, les antiquarks, portent une charge opposée à celle des quarks du neutron)… Mais gare aux réunions de famille ! La rencontre entre une antiparticule et une particule est destructrice : les deux membres s’annihilent en émettant un grain de lumière, ou photon, très énergétique. Malgré ce risque, c’est entre les murs de cette usine que, depuis 1995, les physiciens forgent avec succès cette antimatière pour en percer les secrets.
Et c’est dans ces murs, aussi, que la physique vire à la métaphysique. « Pourquoi on existe ? », s’interroge ainsi Chloé Malbrunot, chercheuse du CERN dans cette usine. Elle pose là une des questions les plus fondamentales sur nos origines. Au commencement de l’Univers, il y a 14 milliards...