
Nous avons, plus que jamais, un besoin urgent d’inventer des modes de coexistence entre les cultures, rappelle le spécialiste du Japon Emmanuel Lozerand, au terme de sa contribution au nouveau numéro de la revue Socio-anthropologie. Aussi avons-nous tout intérêt à ne pas cesser d’aller vers l’autre. Pour cela, nous interprétons, nous traduisons, nous comparons. Et là est le piège : comment, en comparant, ne pas tout ramener à soi ? Piège d’autant plus efficace que les sciences humaines ont été construites dans un double mouvement réflexif : « Les concepts des SHS [sciences humaines et sociales] ont été forgés pour “nous” penser nous-mêmes, à partir de nos réalités propres, et pour jauger les autres – “eux” – à cet étalon. (…) Ils impliquent un certain découpage du réel à l’aune duquel ces autres ne peuvent être qu’insuffisants, marginaux ou déviants. »
C’est pourquoi, comme le rappelle l’historien Patrick Boucheron, dans sa contribution « Devenir l’autre de l’autre », le comparatisme est à la fois un humanisme – il nous permet de relativiser notre position en comprenant qu’on est toujours l’autre de quelqu’un – et une manière de se rapprocher pour s’évaluer : on le sait bien, la comparaison prépare la compétition.
Montrer comment « nous » croyons, et comment « ils » saventDe là tout l’intérêt du dossier présenté dans la revue, qui, à travers ses multiples contributions, plaide pour un nouvel espace comparatiste qui tente de faire autrement place à l’autre, de « redresser l’asymétrie » de départ (Boucheron).
L’objet sur lequel s’éprouve le programme comparatiste est ici important : ce sont les « manières de croire » que la revue Socio-anthropologie – qui fête ses 20 ans – passe au crible. Or, alors que nous la pensons, à tort ou à raison, omniprésente dans notre contemporain, la notion de croyance est délaissée par les sciences sociales, sans doute victime du soupçon qu’ont fait peser...