« Monsieur, ça va compter? ». « Monsieur, ça va être noté? ». « Si on fait le travail facultatif, on aura un bonus? ». Ces interrogations nous éloignent des discours lyriques sur le plaisir d’apprendre, sur la soif de connaissances des élèves qu’il faut étancher, sur l’éloge de la gratuité y compris dans le domaine des apprentissages.
Qu’on ne se méprenne pas, je n’assimile pas les élèves à des animaux et le professeur à un dresseur. En revanche, on se désole un peu qu’il faille à défaut de manier le bâton, avoir en réserve une carotte. Ces réflexions ne visent pas à accabler les élèves, ils sont victimes d’un système qui les rend accros aux gratifications.
Le rapport Mathiot vise à réformer sensiblement le bac, et le lycée probablement dans la foulée. Une telle précipitation laisse supposer qu’on amuse la galerie, et que les principales décisions avant même la concertation avec les enseignants sont actées. Procès d’intention me dira-t-on, non, juste une inquiétude légitime (trop souvent vérifiée par l’expérience) sur les mauvaises intentions, quand elles sont un mélange indigeste de bonne volonté pédagogique et de soucis de réduction drastique de coûts sous l’influence de Bercy [comment expliquer autrement la forte réduction dès cette année des postes aux concours enseignants?).
Si on comprend bien, ces réformes visent à améliorer le système éducatif, à faire progresser TOUS les élèves. A vrai dire, on ne voit pas bien par exemple en quoi la destruction des séries est un progrès. Dès la seconde, il faudra qu’un jeune lycéen commence à se spécialiser par ses choix de matières, dites majeures. Par la suite, il faudra faire preuve de stratégie pour choisir les bons couplages de matières qui ouvriront les portes du supérieur. On encourage même les élèves à faire des activités extra scolaires pour montrer leur implication: faire du sport, encadrer des jeunes sera moins un plaisir qu’une obligation, pour se constituer le bon dossier qu’on mettra en valeur, dans une lettre de motivation exigible pour tous les voeux faits sur Parcoursup.
Un sociologue franchement opposé à Bourdieu (le chouchou des profs de gauche dit-on) a montré le danger de multiplier les bifurcations dans le système scolaire pour les enfants issus des familles modestes. Boudon a pris l’image de la gare de triage, de l’aiguillage. Quand on multiplie les choix, ce sont ceux qui connaissent le mieux le système, ceux qui ont les meilleurs réseaux qui font les meilleurs choix. Les autres, issus de familles modestes ont tendance à s’autocensurer, mais peut-être touche-t-on là un des points fondamentaux (caché) des réformes qui se dessinent. Le summum de la domination, c’est de convaincre les dominés que leur sort est mérité, normal!
Au final, sous prétexte de diversifier les choix, on demande aux élèves de les rentabiliser très tôt. Au lieu de favoriser un lycée dans lequel on se construit patiemment, on va privilégier le façonnage d’élèves préoccupés trop rapidement par des choix qui les conduiront à anticiper ce qu’on attend d’eux. Pour les rassurer et leur indiquer qu’ils sont sur la bonne voie, il faudra continuer à distribuer les gratifications, à entretenir les réflexes pavloviens. Du syndrome de l’otarie à celui du singe savant, voilà qui nous éloigne d’un lycée émancipateur dans lequel l’éloge de l’effort gratuit aurait sa place.