La fabrique de
Titeuf
Zep n’a jamais quitté le canton Genève où il est né il y a cinquante ans. Après avoir longtemps dominé la cour de récréation d’une école de la commune de Carouge, son atelier occupe désormais le dernier étage d’une grande demeure située au bord du Rhône. C’est là, dans ce vaste grenier aux poutres apparentes, éclairé par les rais du soleil traversant les vasistas, que le dessinateur conçoit et réalise les histoires de Titeuf. Zep a développé un artisanat « mixte » qui mêle techniques traditionnelles (feutre, aquarelles…) et procédés numériques (tablette graphique, scans…). Si le milieu de la bande dessinée grouille d’incorrigibles retardataires, le Suisse a la réputation de toujours livrer ses planches à l’heure. « Ça doit être dans mes gènes. Même quand j’ai l’impression d’être en retard, je termine toujours à la date fixée », confie-t-il. Zep nous a ouvert la porte de son repaire.
Ce reportage photographique est à retrouver dans les pages du hors-série du Monde « Titeuf, 25 ans et toutes ses dents » (122 pages, 8,50 €), publié à l’occasion de l’exposition qui est consacrée au personnage fétiche de Zep au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Photos d’Arantxa Cedillo
Textes de Frédéric Potet
L’idée
Toute histoire de Titeuf commence sur des petits carnets que Zep emporte partout avec lui, notamment quand il est en voyage. Comme de nombreux auteurs de bande dessinée, il « écrit et dessine en même temps », au gré d’une technique narrative éprouvée. Le rendu « est hyper rudimentaire mais j’ai besoin, dès le départ, de représenter des attitudes et des expressions », confie-t-il. Sortis d’une pointe de stylo en mode « patte de mouche », saynètes et dialogues sont illisibles pour le quidam : « Je ne veux pas qu’on puisse lire par-dessus mon épaule quand je suis dans le train. » Environ 40 % de ce qui est couché dans ces carnets ne sera jamais utilisé par la suite.


Le story-board
Longtemps réalisé sur papier, aujourd’hui sur palette graphique, le story-board permet de mettre en place les personnages, les décors, les phylactères, et plus généralement la mise en scène. Zep envoie ensuite ce brouillon à son éditeur et agent, Jean-Claude Camano, afin d’obtenir son avis. « Cette phase permet de vérifier si un gag marche ou pas. Il arrive parfois qu’une idée que je trouve très drôle dans mon carnet au départ ne fonctionne pas du tout au stade du story-board », explique le dessinateur.




Le crayonné
Zep réalise ensuite le crayonné de la future planche. Il le fait aux mêmes dimensions que la page de l’album imprimé, afin de voir ce qui sera lisible aux yeux du lecteur. Autrefois réalisé sur papier et à la mine de plomb, ce crayonné est exécuté désormais avec un stylet sur une palette numérique. « L’avantage est qu’on peut recommencer à l’infini sans avoir à gommer et risquer de trouer ses pages à force passer et repasser la gomme », dit-il amusé.

L’encrage
Afin de pouvoir ajouter davantage de détails, Zep a agrandi son crayonné, soit à la photocopieuse (quand il travaille sur papier), soit à l’ordinateur (quand il travaille sur palette). Placé sur une table lumineuse, le crayonné va alors lui servir d’indication pour l’encrage définitif, réalisé sur une nouvelle feuille grâce aux effets de transparence. Le dessinateur utilise depuis toujours les mêmes feutres à pointe fine, qui ont la particularité de résister à l’eau et à la lumière.





La colorisation
S’il a adopté un logiciel aux teintes innombrables, Zep continue de coloriser certaines planches de ses albums – deux ou trois en moyenne – à l’ancienne, c’est-à-dire à l’aquarelle liquide de marque Ecoline, bien connue des étudiants aux beaux-arts. Il ne travaille qu’avec trois couleurs primaires : le jaune citron, le magenta et le bleu céleste cyan. Un quatrième flacon a toutefois rejoint sa palette : le violet outremer, « afin de colorier directement le tee-shirt de Titeuf ».






Le chemin de fer
Ses pages terminées, ou quasi, Zep les dispose au sol, dans son atelier, afin de réaliser le « chemin de fer » de son album. « Le but est de voir si les gags s’enchaînent bien, s’il ne manque rien pour le lecteur qui les découvrira les uns à la suite des autres », explique-t-il. Réalisée conjointement et à distance avec Jean-Claude Camano, l’opération peut conduire à la disparition pure et simple de certaines pages. Et à l’ajout de nouvelles. La première planche du dernier album (A fond le slip !), dans laquelle sont remis en scène plusieurs personnages secondaires de la série (les filles, les parents, la maîtresse…), a par exemple été refaite quinze fois.


La pause guitare
Quand il ne dessine pas, Zep joue de la guitare, son autre passion, dans son atelier. Membre de plusieurs groupes de rock en Suisse (Zep’n’Greg, Blük Blük, Alice in Kernerland), ce fan inconditionnel de Bob Dylan a composé une chanson pour Johnny Hallyday que celui-ci a chanté dans l’adaptation de Titeuf au cinéma, et a illustré les pochettes de disque de plusieurs chanteurs, comme Bill Deraime, Henri Dès ou Jean-Jacques Goldman avec qui il a partagé un morceau sur scène, lors d’un concert.
