
Après deux années de classe préparatoire littéraire, Morgane Le Cloirec ne voulait pas « continuer les études pour les études », mais s’engager dans une formation « qui ait du sens ». Lors de sa licence de cinéma à l’université de Rennes-II, c’est un échange à Montréal qui lui a donné la clé. Outre-Atlantique, elle a découvert les études de genre, ce champ de recherche autour des rapports sociaux entre les sexes, de la construction des identités et des inégalités entre les hommes et les femmes dans la santé, le travail ou l’éducation. « J’étais habitée depuis longtemps par des convictions féministes, mais je n’imaginais pas que je pourrais ainsi les lier à ma formation », observe-t-elle.
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A son retour, Morgane Le Cloirec a donc rejoint l’université Lumière-Lyon-II qui propose tout un pôle autour des questions de genre, du master « Matilda », axé sur l’histoire, au master « SÉGO », plus sociologique. Inscrite en master « ÉGAL’APS » (« égalité dans et par les activités physiques et sportives »), l’étudiante de 23 ans alterne cours théoriques et analyses de cas avec un stage à la Fondation Alice-Milliat, où elle monte un tournoi de rugby féminin amateur. Son verdict : « On parle beaucoup du genre et de l’égalité, mais il y a encore peu de fonds alloués à ces questions. C’est motivant d’explorer un domaine neuf, mais personne ne nous attend ! A nous de créer nos propres métiers. »
Se confronter au terrain
Effectivement, avec un master en études de genre, s’il y a « des perspectives dans la recherche ou dans le monde associatif », il n’y a pas à la clé de « postes bien précis, comme il peut y en avoir après des concours d’enseignement », rappelle Hélène Nicolas, responsable du master « études sur le genre » de Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis.
Certaines administrations ont certes embauché des chargés de mission, mais « les emplois correspondant à ces masters ont encore du mal à émerger, constate Cécile Favre, coordinatrice à Lyon-II du réseau international Egales. Dans ce contexte, une double compétence peut être précieuse ».
Dotée d’un bagage en statistique et en informatique, une ancienne étudiante travaille ainsi pour des écoles d’ingénieurs sur le recrutement des promotions et les enjeux de diversité. « Dans tous les cas, il faut bien s’interroger sur ses attentes. On ne vient pas là pour apprendre un métier mais pour construire un projet », poursuit Cécile Favre. Pour se spécialiser, les élèves peuvent compter sur un programme de séminaires au choix, à Paris-VIII, par exemple, ou des séjours dans d’autres universités européennes, avec les masters rattachés au réseau Egales.
Les mises en situation sont aussi décisives, comme l’illustre la trajectoire de Mélanie Rostaing. Arrivée en 2013 au master « égalités » de Lyon par les sciences politiques, cette consultante a trouvé sa voie grâce à un stage de six mois dans un cabinet de formation. Aujourd’hui chargée du développement d’un département dans le cabinet de conseil Option Leader, elle reste informée sur les avancées de la recherche, qu’elle diffuse auprès des entreprises, tout en prenant plaisir à monter des projets de A à Z et à affiner son sens de la pédagogie.
« Déconstruire les stéréotypes »
« D’une intervention à l’autre, les réactions des participants varient et l’on touche à de multiples sujets du quotidien, du permis de conduire à l’agriculture », glisse Mélanie Rostaing. « S’il est difficile de mesurer l’impact des formations, on sait qu’il y aura au moins ce temps dans une carrière pour déconstruire les stéréotypes », ajoute Amélie Durin, diplômée du master « genre, égalité et politique sociale » de Toulouse-Jean-Jaurès.
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Formatrice dans le groupe Egae, après avoir travaillé auprès d’une association d’élus contre les violences faites aux femmes, elle estime que « le dialogue reste plus que nécessaire sur ces questions que l’on pense souvent déjà réglées ».
Professeur dans un collège de la région parisienne, rédigeant en parallèle une thèse sur la réécriture des mythes au sein de Paris-VIII, Gérald Barbière le constate au quotidien : « Les femmes sont très peu représentées dans les manuels de lettres alors qu’elles écrivent depuis toujours. Si l’on parle beaucoup de la poésie de Ronsard, pourquoi ne pas évoquer aussi l’œuvre de Louise Labé, qui est sa contemporaine et a les mêmes influences italiennes ? » C’est ce qu’il fait avec ses classes de quatrième. Et de noter que « les lunettes des études de genre ne vous quittent plus une fois que vous les avez portées ! ».
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A l’instar de ce diplômé de Paris-VIII, Morgane Le Cloirec note que ces études invitent à se remettre en question. « On se rend compte que l’on peut très bien être féministe et avoir des comportements sexistes, dit-elle. Que l’on se soit inscrit là avec de grandes convictions ou par curiosité, cela bouscule la manière dont on perçoit le quotidien. » Choix personnels et professionnels se rejoignent.