
L’Armée imaginaire. Les soldats prolétaires dans les légions romaines au dernier siècle de la République, de François Cadiou, Les Belles Lettres, « Mondes anciens », 486 p., 29,50 €.
Des figurines en plomb aux livres d’histoire érudits, les légionnaires romains occupent une place centrale dans l’imaginaire guerrier de l’Occident. C’est peu de dire que ces soldats sont précédés par leur réputation : ne furent-ils pas les fers de lance de la conquête du monde méditerranéen par Rome, entre le IIIe et le Ier siècle av. J.-C. ? Efficaces et disciplinés, ils auraient toutefois basculé du côté obscur au cours de ce siècle, le dernier de la République. C’est alors que les Romains seraient passés d’une armée de conscription, recrutée parmi les citoyens disposant d’une certaine fortune, à une troupe d’engagés volontaires, appartenant aux couches les plus humbles de la société. Cette évolution sociologique aurait abouti à l’émergence d’une armée professionnalisée, dépourvue de tout idéal civique : loyaux à leurs chefs plus qu’à la République, ces soldats prolétaires auraient même joué un rôle moteur dans l’avènement de l’Empire.
Une véritable leçon de critique documentaireDans L’Armée imaginaire, livre magistral, François Cadiou, professeur d’histoire antique à l’université de Bordeaux, met en pièces cette représentation misérabiliste de légions romaines supposément composées de « déchets sociaux » – selon l’expression pleine de mépris de Jérôme Carcopino (1881-1970). Si cet ouvrage universitaire est truffé de termes latins et doté d’un lourd appareil de notes, il frappe par la clarté de son argumentation. Traquant les présupposés de ses prédécesseurs et la circularité de leurs raisonnements, l’auteur offre aux lecteurs une véritable leçon de critique documentaire. Il attire notamment l’attention sur les problèmes soulevés par le caractère souvent orienté des sources...