Les estimations de l’organisation non gouvernementale (ONG) britannique Oxfam sont publiées chaque année pour le Forum économique mondial de Davos, en Suisse, qui cette année a lieu de mardi 23 à vendredi 26 janvier, et sont largement relayées. Le chiffre phare du rapport de janvier 2018 est que « 82 % des richesses créées dans le monde l’année dernière ont bénéficié aux 1 % les plus riches ». Des chiffres qui interpellent, mais qui posent aussi la question de la méthodologie utilisée pour les obtenir. Alors, comme nous l’avons fait par le passé, voici quelques clarifications pour bien comprendre de quoi il est question.
La « richesse » est ici le patrimoine net. Comment Oxfam arrive-t-elle à ce chiffre ? L’ONG observe que la richesse mondiale a augmenté de 9 264 milliards de dollars entre 2016 et 2017, alors que la richesse des 1 % les plus riches a augmenté de 7 625 milliards de dollars. En comparant ces deux chiffres, Oxfam établit que 82 % des richesses créées ont profité aux 1 % les plus riches.
Or Oxfam se base sur les données Global Wealth Databook de Credit Suisse, qui publie chaque année son rapport sur la richesse mondiale. Et derrière le mot « richesse » se cache une mesure plus précise : l’avoir net individuel. Autrement dit, pour chaque personne : la valeur de ses actifs financiers et de son patrimoine moins ses dettes.
Revenu, dette et niveaux de vie. Le calcul de l’avoir net individuel ne fait pas apparaître le revenu, ce qui peut mener à des contradictions, car un étudiant américain endetté pour payer ses études sera considéré comme plus « pauvre » qu’un salarié malien qui gagne très peu mais n’a pas d’endettement. Oxfam concède dans sa note méthodologique que ces cas existent mais qu’ils ne fausseraient pas les résultats.
Ainsi, un avoir net individuel supérieur à 3 580 dollars (2 926 euros) vous classe dans la moitié de la population mondiale la plus riche. A plus de 76 750 dollars (62 730 euros), vous passez dans la « tranche » des 10 % les plus riches du monde. Et avec un patrimoine supérieur à 777 370 dollars (635 580 euros), certes important, mais qui ne suffit pas, en France, à être redevable de l’impôt sur la fortune immobilière (dont le seuil est fixé à 1,3 million d’euros), vous entrez dans le cercle des 1 % les plus aisés du monde.
Sont donc comparées des inégalités individuelles au niveau mondial, sans prendre en compte le niveau de vie de chaque pays, qui varie fortement. Si les statistiques données par Oxfam servent d’indicateur et sont révélatrices de la forte concentration des richesses, elles ne peuvent pas être prises pour argent comptant.
Des données parfois reconstituées. D’autant plus que la récolte des données présente elle aussi des imprécisions, car l’index utilisé par Credit Suisse est le bilan des ménages (actifs et patrimoine moins dettes), or seuls 48 pays fournissent ces données. Pour les 135 pays qui n’ont pas d’indications sur le patrimoine mais simplement sur les revenus, les estimations sont construites.
Reste encore 50 pays pour lesquels il est difficile de faire une estimation (des petits pays, comme Monaco, ou semi-exclus de l’économie mondiale, comme la Corée du Nord), alors les chiffres sont calculés en fonction de la moyenne régionale par exemple. Des données qui tendent tout de même à se préciser, puisqu’en 2017 des données sur la Chine, l’Inde, le Japon et la Russie ont pu être ajoutées.
Et pour les personnes les plus riches, Credit Suisse se base sur le classement de Forbes, qui a établi une liste de 2 043 milliardaires en 2017, soit 13 % de plus qu’en 2016.
Le cas des enfants. Dans ses calculs, Credit Suisse ne prend en compte que les adultes (il en décompte 5 milliards), estimant que les enfants n’ont pas de revenus. Pour trouver ce chiffre, Oxfam simplifie et estime que 2,5 milliards d’enfants sont répartis équitablement dans la population adulte et partagent la richesse de leurs parents. Il est précisé : « Nous savons que c’est une estimation conservatrice, étant donné que les familles sont plus nombreuses dans les pays dont la richesse des ménages est plus basse. »
Si le constat d’Oxfam, celui d’une concentration toujours plus forte de la fortune entre les mains d’un nombre toujours plus réduits d’individus est une réalité prouvée par nombre de travaux, il est donc important de préciser les limites des chiffres présentés par l’ONG qui visent avant tout à faire valoir des principes humanistes alors que les leadeurs de l’économie mondiale se retrouvent pour le Forum de Davos.