
Il avait fallu une dizaine d’années aux chercheurs en science politique pour théoriser sur le giscardisme. Emmanuel Macron est président depuis huit mois quand se tient un premier colloque sur Macron et le macronisme. Pour accéder à l’auditorium, on suit l’affichette avec la photo d’une statue de Jupiter.
C’est là que se retrouvent les chercheurs. Un débat sur le phénomène Macron exige d’abord de se demander si Macron est un phénomène. La tendance à la personnalisation de la vie politique était là bien avant lui, relativise Jean-Louis Thiébault, professeur de science politique à l’IEP de Lille. Jusqu’à François Hollande, argumente-t-il, tous les candidats des grands partis à la présidentielle se sont autodésignés (il reconnaîtra plus tard avoir un peu simplifié les faits pour le tonus du débat). Dans la salle, une voix s’élève, celle de Frédéric Sawicki, spécialiste du PS : « A part Fujimori au Pérou et Chavez au Venezuela en 1999, c’est rare qu’un outsider rafle toute la mise comme ça… »
Comparaison n’est pas raison. Mais que voulez-vous faire d’autre ? Au cours de cette deuxième journée, Emmanuel Macron est tour à tour comparé à un Bayrou qui aurait bien tourné et à un Giscard avançant avec sa petite structure face à l’UDR. Quelqu’un se demande même s’il n’y a pas une analogie à faire avec la sociologie du parti radical sous la IIIe République (encore faut-il l’avoir à l’esprit).
« Il y a encore des sympathisants du PS ? »
La plus forte corrélation d’électorat s’observe avec celui de François Bayrou en 2007, signale Pierre Bréchon, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble. Des tableaux de chiffres s’affichent sur l’écran, triés en fonction des sympathies des électeurs. « Il y a encore des sympathisants du PS ?, demande quelqu’un dans la salle. Vous les trouvez où pour constituer votre échantillon ? »
C’est de l’humour de politologue. Mais la blague a du fond. Y a-t-il encore du sens à utiliser ces outils, à se demander si Emmanuel Macron est « ni droite ni gauche » ou « centre et droite et gauche » quand les partis ont volé en éclats ? Lorsqu’ils commencent leur phrase par « Je me suis amusé à », les chercheurs en science politique les complètent souvent par des formules comme « calculer des corrélations », « reprendre les calculs » ou d’autres expériences qui ne sont pas nécessairement hilarantes pour qui s’y essayerait chez lui.
Si l’on en croit Patrick Lehingue, de l’Université de Picardie, le plus jeune président de la République, érigé en président de la modernité, est loin d’avoir été le candidat de la jeunesse. « Dans quatre des cinq enquêtes, Macron a obtenu auprès des 18-24 ans des résultats inférieurs à sa moyenne nationale. C’est chez les plus âgés qu’ils sont les plus importants… » Chez les mieux dotés en capitaux économiques et culturels aussi.
Un ouragan de dégagisme
Même décalage entre image et réalité chez les députés. « Elus de la nation, nous sommes fiers de nos parcours, fiers de la diversité de nos profils et de nos sensibilités politiques… », dit la déclaration politique du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Diversité toute relative ! Sébastien Michon, qui a étudié les profils des députés, souligne qu’ils sont cadres du privé plus souvent qu’à leur tour. Il est coauteur du livre Métier : député (collection « Raisons d’agir »), publié en avril 2017. « On a bien fait de se dépêcher, maintenant c’est un livre d’histoire. » (Humour de politologue.)
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A écouter la présentation que fait Pierre Bréchon des positions des électeurs sur des échelles d’attitudes, ceux de Macron s’avéraient les plus d’accord avec l’idée que la politique peut changer les choses. Ces gens convaincus que la politique fonctionne seraient les auteurs d’un ouragan de dégagisme. « On voit bien la capacité de la science politique à prévoir ce qui s’est passé », résume Jean-Gabriel Contamin de l’université de Lille. (Humour de politologue.)
« La présidentielle est un soap opera national, on n’a pas la même série télé pour les législatives, note un chercheur, impressionné du point de vue sociologique, affligé du point de vue citoyen » par la très faible participation à l’élection des députés. L’écart entre législatives et présidentielles ne cesse d’augmenter. « Il a atteint 30 points en 2017 », détaille Bernard Dolez, pour qui la victoire de LREM aux législatives serait le fruit d’un abstentionnisme différencié : les catégories les moins démobilisées aux législatives étaient les plus favorables à Macron. L’électorat du parti qui a remporté la présidentielle a tendance à rester plus mobilisé, note-t-il. « Faudrait que Marine Le Pen gagne pour voir si après ses électeurs se démobilisent », blague un chercheur. (Humour de politologue.)
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Quant à la façon dont la popularité du président et son ancrage politique vont évoluer, « faut pas trop qu’on joue les journalistes qui veulent prévoir l’avenir », dit un chercheur. Pour la défense des journalistes, signalons que l’universitaire en question envisage « deux scénarios extrêmes avec plein d’intermédiaires possibles ». (Humour de politologue ?)