
Maître de conférences à l’université de Caen-Normandie et spécialiste de la civilisation irlandaise, Alexandra Slaby est auteure de l’ouvrage Histoire de l’Irlande de 1912 à nos jours, (Tallandier, 2016). Alors que le Brexit inquiète une partie des exportateurs irlandais, elle revient sur l’histoire économique de l’île, dominée par la présence des multinationales.
Comment, après la seconde guerre mondiale, le pays a-t-il déployé une stratégie pour attirer les multinationales sur son territoire ?
La recherche d’investissements étrangers pour dynamiser l’industrie irlandaise, chroniquement déficiente dans une économie qui a toujours privilégié l’agriculture, remonte à la fin des années 1950, décennie la plus austère du XXe siècle irlandais. Elle est portée, en premier lieu, par un haut fonctionnaire du ministère des finances, T. K. Whitaker (1916-2017), considéré comme l’architecte de l’Irlande moderne.
Un rapport intitulé Economic Development, qu’il rédigea en 1958 pour tirer l’économie irlandaise de son ornière et réduire sa dépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, inaugura une politique de planification du développement industriel, qui comportait des mesures pour attirer les entreprises étrangères sur le sol irlandais, afin de stimuler les exportations. A l’heure de la construction européenne, il fallait préparer l’industrie irlandaise aux perspectives du libre-échange.
A quoi ressemblaient la société et l’économie irlandaise auparavant ?
La situation de l’Irlande est unique dans l’Europe d’après-guerre. A la différence des autres pays européens, une hémorragie démographique endémique, remontant au milieu du XIXe siècle, contractait le marché intérieur, qui était alors incapable de soutenir le développement industriel. Les années 1950 ont été surnommées la décennie où les Irlandais ont disparu (« the vanishing Irish »). Cette situation...