
Comment un acteur de la mode peut-il valoriser son image de marque ? Ces dernières années, la réponse semble être : en remettant un prix. C’est par exemple le cas du Woolmark Prize, décerné chaque année depuis 2010 par la Woolmark Company, organisme à but non lucratif qui promeut la laine australienne. Il a couronné mardi 9 janvier trois lauréats aussi inconnus que prometteurs : l’Anglais Matthew Miller a remporté l’award du prêt-à-porter homme, l’Indienne Ruchika Sachdeva celui du prêt-à-porter femme pour sa marque Bodice ; le prix de l’innovation a récompensé l’Américain Christopher Bevans et sa griffe DYNE.
Même si l’approche stylistique de chacun est très différente, les trois gagnants ont en commun de vouloir faire une « mode qui ait du sens ». « Il existe déjà tellement de marques, estime Ruchika Sachdeva. Pour légitimer la création d’une nouvelle, il faut proposer des vêtements pas seulement beaux, mais qui durent dans le temps, ne polluent pas. S’assurer que les gens qui les produisent travaillent dans de bonnes conditions. » Sa très belle collection utilise des techniques de tissage indiennes ancestrales et des tissus recyclés.
« Je m’intéresse à la mode, mais je suis aussi un sportif et un geek », explique Christopher Bevans, créateur de DYNE. Il crée des « vêtements sportswear travaillés comme des costumes » où il a remplacé les étiquettes par une puce électronique, qui, connectée à un smartphone, livre toutes les informations sur le produit, la matière, la marque. Matthew Miller s’inspire quant à lui du designer et philosophe Dieter Rams, qui affirme que « la forme doit suivre la fonction » pour créer des vêtements fonctionnels inspirés du vestiaire militaire.

« La remise de prix est une stratégie marketing comme une autre, devise Stuart McCullough, directeur général de Woolmark. On pourrait acheter des pages de pub dans des magazines. Mais on préfère être présent dans la presse par l’intermédiaire de notre travail avec la jeune création. » C’est en effet plus gratifiant, et surtout, autrement plus intéressant.
Car la Woolmark Company met le paquet. Elle organise sa remise de prix dans le cadre du Pitti Uomo, le plus grand salon de mode masculine au monde, qui se tient deux fois par an à Florence (Italie) et rameute toute la faune fashion – marques, designers, acheteurs, journalistes. Elle a réussi à attirer un jury prestigieux composé de journalistes influents (de Vogue à des parutions plus pointues), d’un designer cool (Phillip Lim), de femmes d’affaires glamours investies dans l’écologie (Miroslava Duma, Livia Firth), d’une gloire du mannequinat (Amber Valletta)…
Tout ce beau monde vient sans être payé, attiré par l’aura dont jouit le prix et aussi, semble-t-il, parce que c’est un projet rondement mené. « C’est incroyable de voir une fibre aussi traditionnelle que la laine naturelle mélangée au design expérimental, à l’innovation technologique, et à une véritable ingéniosité écologique », s’enthousiasme Livia Firth quand on l’interroge sur ses motivations à intégrer le jury.
Pour les lauréats, le Woolmark Prize présente un gros avantage : les points de vente partenaires du prix tels que L’Eclaireur, Harvey Nichols, MyTheresa ou Lane Crawford s’engagent à distribuer leur collection. « Tous les prix de mode distribuent des chèques et des trophées. Mais l’argent ne dure pas et les trophées prennent la poussière. Chez nous, même si le gagnant est un petit designer d’un petit pays, son travail devient international », souligne Stuart McCullough. C’est bien l’avis de Ruchika Sachdeva, la créatrice de Bodice basée à New Dehli : « Aucun acheteur ne vient jusqu’en Inde. Là, j’ai une opportunité d’être exposée dans des super boutiques. »

Chez les lauréats, l’emballement pour le prix ne semble pas feint. Christopher Bevans de DYNE se dit impressionné par l’intérêt porté par la Woolmark Company pour les nouvelles technologies et sa faculté à mettre à disposition « un réseau de fabricants qui partagent [s] es valeurs ». Pour Matthew Miller, « c’est un peu comme être Charlie dans la chocolaterie ». « Connecter les gens, c’est notre job », explique modestement Laura Armstrong, chargée de la communication de la Woolmark Company, qui rappelle au passage que ce prix « n’a rien à vendre ». Sauf l’image de marque de la laine, évidemment.