Steve Bannon quitte la direction de Breitbart News
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Steve Bannon quitte la direction de Breitbart News

L’ancien conseiller spécial de la Maison Blanche est acculé depuis qu’il s’est confié à Michael Wolff, l’auteur de « Fire and Fury : Inside the Trump White House », livre très critique sur le président et son entourage.

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Il y a un an, celui qui avait été l’un des stratèges de campagne du président était présenté comme l’éminence grise de Donald Trump, un personnage habile et manipulateur obligeant l’ensemble du Parti républicain à se plier à son « nationalisme économique ».

Stephen Bannon s’était revendiqué un jour comme léniniste. « Lénine », avait-il expliqué à un historien américain, Ronald Radosh, « voulait détruire l’Etat, c’est aussi mon objectif ». Un procès quasi stalinien emporte aujourd’hui l’ancien conseiller de Donald Trump. Il a été contraint de renoncer mardi 9 janvier à la direction du site Breitbart News, transformé sous sa houlette à partir de 2012 en brûlot ultranationaliste. Un départ qui intervient six mois après avoir quitté la Maison Blanche à la suite de la nomination d’un nouveau chief of staff, l’ancien général John Kelly, tout en restant alors en bons termes avec M. Trump.

Mis en cause pour des propos ravageurs concernant le président et sa famille rapportés par Michael Wolff dans son livre Fire and Fury : Inside the Trump White House (Henry Holt ed., non traduit) qui fait tanguer la Maison Blanche depuis sa publication, le 5 janvier, M. Bannon a tout d’abord été ostracisé par Donald Trump. Il a perdu ensuite le soutien précieux de la famille Mercer, actionnaire minoritaire de Breitbart News, avant d’être accablé sur toutes les chaînes d’information continue par l’entourage du président.

Une « trahison » pour Trump

« Lorsqu’il a été viré, il n’a pas seulement perdu son job, il a aussi perdu la tête », avait assuré vendredi le président, rendu furieux par l’accusation de « trahison » prêtée dans le livre à M. Bannon à l’endroit du fils aîné du président, Donald Trump Jr. Il faisait allusion à une rencontre controversée de ce dernier, pendant la campagne, avec des personnalités russes. Un procureur spécial, Robert Mueller, enquête sur une éventuelle collusion avec les responsables des piratages imputés à la Russie par le renseignement américain qui ont visé le Parti démocrate.

Affublé désormais du sobriquet « Steve le débraillé » dans les messages vengeurs publiés sur le compte Twitter du président, une allusion à un style vestimentaire non conventionnel, l’ancien Père Joseph du candidat à la présidentielle a tenté une parade. Mais les excuses publiques avancées deux jours après la rupture officialisée par un communiqué virulent du président, le 7 janvier, sont apparues comme trop tardives et trop peu convaincantes pour faire fléchir la Maison Blanche. Interrogé à ce sujet au cours d’un déplacement présidentiel dans le Tennessee, lundi, un porte-parole adjoint de M. Trump avait clairement écarté la possibilité d’un retour en arrière.

Les « erreurs » du président

Tout en ménageant ostensiblement le président dans ses interventions publiques et en se présentant comme un fantassin loyal du trumpisme, Stephen Bannon n’avait pourtant cessé de prendre ses distances par rapport à certaines décisions présidentielles au cours des derniers mois. Hostile à un renforcement de la présence militaire américaine en Afghanistan décidé cet été, il avait également publiquement jugé inutile l’offensive verbale du président contre la Corée du Nord. Stephen Bannon estimait en effet qu’elle détournait M. Trump de la priorité de contrer l’influence de la Chine.

En septembre, invité de la prestigieuse émission « 60 Minutes » de la chaîne CBS, il avait également estimé que le limogeage par le président, en mai, du directeur du FBI, James Comey, avait été « la pire erreur » de « l’histoire politique moderne ». Ce limogeage a précipité la nomination d’un procureur spécial pour enquêter sur l’affaire « russe ».

Querelle de paternité

M. Bannon, qui avait pris avec succès la direction de la campagne présidentielle de Donald Trump en août 2016, paie aujourd’hui une ambition qui n’a cessé d’affleurer dans un long portrait publié en décembre par le magazine Vanity Fair déjà peu amène pour l’entourage d’un président, comparé par ailleurs à « un enfant de onze ans », puis dans l’ouvrage de Michael Wolff. Les dernières pages de ce récit sont sans ambiguïtés. Stephen Bannon y doute en privé que Donald Trump puisse être réélu en 2020, et croit au contraire à sa capacité à reprendre le flambeau et à refonder le Parti républicain sur une ligne ultranationaliste.

Une querelle de paternité oppose en fait les deux hommes. Le président est convaincu d’avoir été, par sa candidature, l’unique catalyseur d’un « mouvement » dépassant le périmètre de l’électorat républicain traditionnel. L’ancien conseiller semble estimer qu’il a été capable, au contraire, par sa cohérence idéologique, de transformer en projet de nationalisme économique les intuitions sommairement exprimées depuis trois décennies par le magnat de l’immobilier.

La défaite humiliante du candidat qu’il avait activement soutenu lors d’une élection sénatoriale dans l’Alabama, en décembre, avait déjà alerté sur les limites de son projet. Son départ de Breitbart News le prive désormais d’un porte-voix et d’influence. « L’obscurité a du bon », avait-il confié dans un entretien au magazine Hollywood Reporter, après la victoire de Donald Trump, en mentionnant « Dick Cheney », le vice-président de George W. Bush considéré comme le véritable patron de la Maison Blanche à l’époque, « Dark Vador » et « Satan ». C’est pourtant sur lui qu’elle risque désormais de se refermer.