« Le jour où les femmes se sentiront autorisées à exprimer leur désir, elles ne seront plus des proies »
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« Le jour où les femmes se sentiront autorisées à exprimer leur désir, elles ne seront plus des proies »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivaine Belinda Cannone salue le mouvement contre le harcèlement, mais estime que la transformation ne sera réelle que lorsque l’entreprise de séduction sera partagée.

Le Monde | | Par

« Les femmes d’Alger (Version “O”) » (1955), de Pablo Picasso, chez Christie’s, à Londres, en 2015.

Tribune. L’extraordinaire mouvement de protestation contre le harcèlement et les violences faites aux femmes, qui a embrasé une grande partie du monde occidental, représente un bond en avant décisif dont nous pouvons nous réjouir sans réserve. On imagine mal comment les rapports entre les sexes pourraient ne pas être définitivement transformés par la vigueur et l’étendue de la dénonciation. Si l’on a fait remarquer qu’elle comportait parfois des outrances ou des maladresses dans certaines de ses expressions, il n’en reste pas moins qu’aucun homme ne peut plus feindre d’ignorer la violence contenue dans des attitudes qui passaient jusqu’ici pour acceptables, sinon normales, et qu’aucune femme ne se reprochera plus d’exagérer lorsqu’elle souffre de cette violence.

Mais prenons garde aux écueils possibles. Une partie importante du féminisme qui s’est développé depuis 1949 a ceci de beau et de mûr qu’il a constamment évité plusieurs pièges, principalement l’appel à la guerre des sexes et son corollaire, le victimisme, mais aussi un puritanisme qui, on le voit ailleurs, transforme le commerce amoureux en procédure et affecte l’idée même du désir, avec ce qu’il engage de risque, d’inattendu et de tension.

Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme

Autant il me paraît capital de dénoncer enfin le lien du pouvoir et du sexe qui a privé les femmes de la maîtrise de leur corps, autant je crois nécessaire de continuer à combattre la morale désuète qui a toujours cherché à refréner les « désordres de la sexualité », de même qu’il faut, à présent, se méfier de la confusion qui pourrait naître entre expression du désir et violence de la domination masculine. Cette confusion pourrait bien survenir du fait que la révolution sexuelle et le féminisme des années 1970 n’ont pas été suffisants pour modifier en profondeur les stéréotypes. Une asymétrie persiste, dans toutes les étapes de la relation amoureuse, si...