
« L’Interprétation sociologique des rêves », de Bernard Lahire, La Découverte, « Laboratoire des sciences sociales », 488 pages, 25 €.
Livre après livre, le sociologue Bernard Lahire (né en 1963) nous avait déjà habitués à des projets ambitieux. Qu’il ait exploré les ressorts de nos actions (L’Homme pluriel, Nathan, 1998) ou la complexité de nos pratiques culturelles (La Culture des individus, La Découverte, 2004), qu’il ait entrepris de bâtir une théorie de la création littéraire (Franz Kafka, La Découverte, 2010) ou de la « magie sociale » qui opère dans notre rapport à l’art (Ceci n’est pas qu’un tableau, La Découverte, 2015), il visait toujours, au-delà, une véritable pensée du monde social.
On retrouve cette ambition, et ce projet, dans son nouveau livre, L’Interprétation sociologique des rêves, premier tome d’une enquête qui en comptera deux, produit d’une recherche audacieuse entamée il y a vingt ans. Dialoguant avec d’autres disciplines (psychanalyse, neurosciences, linguistique, anthropologie…), le sociologue y propose un nouveau modèle d’interprétation des rêves, envisagés d’abord comme une « forme d’expression ».
Votre livre s’efforce de faire entrer le rêve « dans la grande maison des sciences sociales ». Comment expliquez-vous qu’elles l’aient si longtemps mal accueilli ?
Le rêve est une production imaginaire a priori très « personnelle », bizarre aux yeux même de celui ou celle qui l’a produite, évanescente si on ne la raconte pas dès le réveil, fabriquée pendant que la personne est endormie et coupée des interactions sociales ordinaires et de toutes les sollicitations qu’elles charrient… Bref, le rêve est un vrai cauchemar pour le sociologue ! Et, depuis 1900 [année de publication à Vienne de L’Interprétation des rêves, de Sigmund Freud], qui dit « rêve » dit « psychanalyse », et la...