
Valérie Zénatti est romancière et scénariste mais aussi, depuis le début des années 2000, la traductrice d’Aharon Appelfeld.
Dans « Mensonges » (L’Olivier, 2011), vous avez évoqué l’influence d’Aharon Appelfeld sur votre propre travail romanesque. Y a-t-il une réception particulière de cet écrivain en France ?
Cette réception s’est faite en deux temps. Dans les années 1980, on commence à le traduire, chez Belfond puis chez Gallimard. Puis, les publications cessent parce qu’on s’intéresse avant tout aux écrivains israéliens, alors qu’Appelfeld est un écrivain juif européen. Pour ma part, après les grands procès pour crime contre l’humanité (Paul Touvier, Maurice Papon, etc.), j’avais lu Le Temps des prodiges (Belfond, 1985), qui était au programme de l’agrégation d’hébreu. Cette lecture a provoqué en moi un vrai choc littéraire. En 2004, la renaissance éditoriale a eu lieu grâce à Olivier Cohen et les éditions de L’Olivier qu’il dirige, où Appelfeld est désormais publié. Ce regain d’intérêt doit beaucoup aussi au dialogue que Philip Roth a établi avec lui dans Parlons travail (Gallimard, 2004). L’œuvre d’Appelfeld était à ce moment susceptible de toucher un public plus large, cherchant à entendre sur cette période une voix plus pudique, évitant le lyrisme ou le pathos et proposant de l’événement – la Shoah – une vision plus métaphysique qu’historique. Proust et Camus ont été en outre des auteurs qui ont compté pour lui.
La situation est-elle différente en Israël ?
En Israël, Aharon Appelfeld est certes considéré comme un grand écrivain, mais seulement auprès d’un cercle de fidèles appartenant plus ou moins à sa génération, et chez les anciens du kibboutz. On lui reproche de ne jamais parler de la réalité israélienne actuelle, en particulier politique. En revanche, en France, où la Shoah demeure un sujet, ses lecteurs juifs comme non juifs ont été vivement touchés par sa puissance...