Felix Austria, de Sofia Andrukhovych, traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn, Noir sur blanc, 256 p., 20 €.
Cette année 2018 coïncide avec un centenaire à la célébration problématique : l’éclatement, consécutif à la défaite, de l’Empire austro-hongrois. L’effondrement de ce vaste agrégat occupant le centre du Vieux Continent, s’il fut une libération pour les peuples, a aussi créé une nostalgie chez certains écrivains comme Stefan Zweig (1881-1942) ou Joseph Roth (1994-1939). La thématique d’un monde en train de se fissurer avant même la dévastation finale avait également été exploitée par le romancier israélien Samuel Joseph Agnon (Prix Nobel de littérature 1966), lui-même originaire de Galicie, dans son Hôte de passage (Albin Michel, 1974). Cette province annexée par les Habsbourg en 1772 après le premier partage de la Pologne – et située aujourd’hui en Ukraine – a donc déjà joué le rôle d’emblème de cette « Europe d’hier », carrefour de peuples et de religions avant que, sous le coup de deux guerres mondiales, son pluralisme ne devienne plus qu’un souvenir, dont certains jeunes écrivains polonais ou ukrainiens d’aujourd’hui s’emparent pour contrer le nationalisme local.
Avec Felix Austria, ce flambeau-là est repris par une auteure née en 1982. Son roman se situe à Stanislaviv (désormais Ivano-Frankivsk) en l’an 1900, dans une période encore pacifique, où seules quelques prémices de la modernité commencent néanmoins à agiter les confins de la double monarchie et à remettre en question sa mécanique apparemment bien réglée. Sofia Andrukhovych a su éviter toute uchronie érigeant la Galicie de la Belle Epoque en version moderne du mythe de l’Andalousie médiévale et multiculturelle. Le statut social ambigu de l’héroïne, Stefa, fille des domestiques du docteur Anger, place le conformisme social au centre de l’intrigue. Stefa a été élevée avec la fille du médecin, Adèle, comme une sœur. Mais...