La réédition chez Gallimard des trois pamphlets antijuifs de Céline est donc à l’ordre du jour : Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938) et Les Beaux Draps (1941). Ils illustrent, parfaitement pour les deux premiers, le type du « pamphlet de propagande », selon la formule de Lucien Rebatet. Il s’agit de propagande pro-hitlérienne. Telle est la spécificité de ces pamphlets qui constituent avant tout une machine de guerre contre un ennemi absolu : « le juif ».
Impératifs contradictoiresDoit-on rééditer ces torrents d’injures, de contre-vérités, de sophismes, d’accusations délirantes, de mensonges de propagande, de visions paranoïaques, d’appels à la haine et au meurtre ? Telle est la première question, qu’on ne pose pas sans inquiétude. La réponse bute sur un fait déplaisant : les pamphlets de l’« entrepreneur d’invectives » sont en libre accès sur Internet et font l’objet d’éditions pirates en vente sur de nombreux sites. Pourquoi dès lors prôner, sur la base de la législation antiraciste, l’interdiction d’une édition critique de ces textes alors que les organisations antiracistes avouent leur impuissance devant leur diffusion sauvage ? On peut par ailleurs, fort légitimement, s’inquiéter du parfum de respectabilité qui serait conféré à ces textes par leur publication chez Gallimard. Le citoyen conscient des enjeux est ainsi assailli par des impératifs contradictoires.
Est-il souhaitable de traiter ces pamphlets comme des objets historiques dotés d’une valeur documentaire et appelant une édition critique ? Telle est la deuxième question. Gallimard y a répondu positivement. Qui se soucie d’ôter à ces textes sulfureux l’attrait du fruit défendu en les accompagnant de commentaires et de notes ne peut qu’approuver le projet comme tel. Mais on peut s’interroger sur l’urgence et les modalités de cette réédition, décidée après le soudain revirement de Lucette Destouches, âgée...