
Like a Virgin, I Put a Spell on You... Lancée en juillet, la marque Art Meets Art crée des parfums à partir de tubes de la chanson. Ainsi, le nez Christophe Raynaud s’est inspiré des paroles de Sexual Healing pour imaginer un accord érotique miel-vanille « très premier degré », tandis que la mélancolie de Besame Mucho lui a soufflé un parfum « sombre » construit autour du cuir. Pour le fondateur de la marque, Ali Kashani, ces titres auraient fait « de très bons noms de parfums, même si les chansons n’existaient pas. Chacun évoque un style différent, que l’on adopte comme un accessoire de mode ».
Dans un genre plus classique, la maison italienne Acqua di Parma dévoilait en octobre l’opus IV de la collection Note di Colonia. Pour composer ce fleuri qui se fait progressivement enveloppant, la marque, sous la direction de François Demachy, a tenté de retranscrire olfactivement la montée en puissance de l’aria Donna non vidi mai du Manon Lescaut de Giacomo Puccini.

Deux mondes connexes
Faire le lien entre la musique et le parfum n’est pas nouveau. Ne parle-t-on pas de notes, de compositions, d’accords et d’harmonie dans un cas comme dans l’autre ? « Il existe aussi des similitudes dans le processus de création : musiciens et parfumeurs n’ont pas forcément besoin d’entendre ou de sentir les notes au moment où ils composent. Tout est dans la tête », précise Christophe Raynaud.
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Depuis une dizaine d’années, la pianiste et musicologue Marie-Anouch Sarkissian étudie les analogies entre ces deux arts. C’est avec le nez Dominique Ropion, en 2011, qu’elle « traduit un langage sonore en langage olfactif » pour la première fois. Ils s’inspirent de la dissonance des musiques des années 1920 (Darius Milhaud, Francis Poulenc), pour élaborer Valse parisienne pour piano, le parfum d’une musique nogentaise. La composition fait se cogner des notes vertes et aquatiques (jacinthe, galbanum, calone) et des matières premières capiteuses (tubéreuse, cuir).
Dominique Ropion s’est volontiers prêté au jeu : « La musique fait partie de mes sources d’inspiration. Elle a ceci de particulier, comme la parfumerie, de posséder un caractère abstrait. » Leur « parfum-étude » n’a jamais été commercialisé, mais il est présenté lors de concerts parfumés. Le prochain aura lieu en avril : la pianiste jouera les morceaux qui lui ont donné naissance, et présentera d’autres fragrances nées de l’écoute d’un nocturne de Chopin.
Stimuler l’ouïe et l’odorat
Le 9 novembre 2017, un ensemble musical tout aussi étrange s’est produit dans un loft du onzième arrondissement de Paris : L’Orchestre Parfum. A chaque morceau joué, le public était invité à sentir un parfum, sur la mouillette correspondante. « L’ouïe et l’odorat sont deux sens extrêmement puissants pour véhiculer l’émotion, explique Pierre Guguen, à l’origine de cette performance. Or nous avons tendance à les négliger et à surinvestir la vue. ».

Il y a quelques mois, cet ex-chef de projet de la marque Comme des Garçons s’est plongé dans les odeurs des instruments, les bois, les cuivres, l’huile de lin des vernis, et y a découvert une palette d’odeurs spécifique. Il y a greffé ses propres souvenirs auditifs et olfactifs (un guitariste de flamenco entendu dans les jardins fleuris de l’Alcazar, une joueuse de koto dans un temple tokyoïte baigné d’encens…) et, avec les nez Amélie Bourgeois et Anne-Sophie Behaghel, a écrit cinq parfums. Puis il a chargé des musiciens d’en composer la transcription sonore.
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La comparaison entre musique et parfumerie a cependant ses limites. « Nous avons une contrainte d’évaporation, jamais nous ne pourrons créer de refrain », s’amuse Christophe Raynaud. Peu importe. Refrain ou pas, un bon parfum, comme un bon morceau, nous reste dans la tête.