Unes de L’Équipe en 2017 : du football et des hommes

La une de L’Équipe a quelque chose d’institutionnel, dont certaines éditions sont restées dans la mémoire collective. Elle offre une reconnaissance aux sportifs qui y accèdent et, à ce titre, elle fait l’objet de polémiques récurrentes sur les priorités éditoriales qu’elle définit – en particulier sur la sous-représentation de disciplines « mineures » et du sport féminin.

Le passage au format tabloïd, en septembre 2015, a réduit le nombre de sujets mis en avant. Il a aussi eu tendance à renforcer le caractère « accrocheur » (d’aucuns disent racoleur) des unes. Il faut toutefois pondérer ces critiques par le fait que la une est une vitrine et a une fonction proprement commerciale qui ne préjuge pas forcément de l’équilibre des contenus dans les pages de rédactionnel.

Il reste que les choix traduisent une hiérarchie de l’information sportive, dont on a voulu se faire une idée sur les 364 éditions de l’année 2017.

N. B. : n’ont été considérés que les sujets majeurs, occupant l’essentiel de la page, en excluant les titres secondaires généralement placés au-dessus ou au-dessous du logo du journal. Pour les unes « partagées » (plutôt rares: 13 au total), on a compté chaque discipline une fois.

LE FOOTBALL AU QUOTIDIEN

L’hégémonie du football ne surprendra personne – son ampleur peut-être. Bien que 2017 n’ait pas été une année de phase finale d’Euro ou de Coupe du monde, il a figuré à la place d’honneur 287 jours sur 362, soit huit fois sur dix.

 

La plus longue série est de 40 unes consécutives, du 25 mars au 4 mai (deux partagées avec le tennis). On enregistre aussi 34 unes consécutives du 21 septembre au 24 octobre (dont une partagée avec le rugby).

Le rugby (28), le tennis (18) et le cyclisme (16, dont 14 pendant le Tour de France) sont les trois autres disciplines à plus de dix apparitions.

De 5 à 6 occurrences, le handball, le sport automobile et le ski devancent assez nettement le judo (2), le basket, la voile et la natation (1). La catégorie « omnisport » a correspondu exclusivement à l’actualité de la candidature de Paris aux JO 2024.

LE PSG UN JOUR SUR TROIS

Favorisé par un mercato spectaculaire, le PSG a trusté 111 unes et en a partagé deux, soit un total de 41% des unes football, et une présence un jour sur trois au global.

L’AS Monaco championne de France n’est que sur la troisième marche du podium (41) derrière l’OM (52). Et encore l’ASM a-t-elle dû partager la une à 12 reprises, contre une seule à l’OM: le statut médiatique du club marseillais semble lui valoir une actualité propre.

Le beau parcours de Nice ne lui a pas assuré plus de 8 apparitions (3 partagées), le Gym étant nettement devancé par l’OL (23). L’équipe de France, avec son calendrier plus sporadique, a obtenu 27 unes, toutes exclusives.

Derrière Lille, boosté par l’arrivée et le départ de Bielsa (5), une poignée d’équipes ont dû à leurs déboires ou à leurs performances (en coupe ou contre le PSG) une apparition unique: Saint-Étienne, Montpellier, Angers, Strasbourg et Bordeaux.

LE SPORT FÉMININ EN MARGE

Le sport féminin a eu quatre fois seulement les honneurs exclusifs de la une, pour les performances en football de l’OL (2), en ski de Tessa Worley (1) et en handball de l’équipe de France (1).

La catégorie « mixte » a désigné 4 fois sur 5 la candidature Paris 2024, la cinquième correspondant à la présence en décembre de Tessa Worley, élue sportive de l’année, au côté de Teddy Riner. On note qu’il a aussi fallu être française(s) pour monter en une.

Ce caractère minoritaire a régulièrement été compensé par une présence dans les titres secondaires, mais il reste que le sport féminin ne se voit pas reconnaître, par le quotidien sportif, une capacité à « faire l’événement » – ou à faire vendre.

LE SENS DES CHOIX

Les unes ne présument pas de l’intérêt qui est porté en pages intérieures aux disciplines « moyennes » ou « mineures » et au sport féminin, ni des efforts qui ont pu être consentis pour leur assurer une meilleure exposition [1]. Il est toutefois manifeste que cet effort ne porte pas sur le fronton du journal.

Les contraintes commerciales – réelles ou perçues – qui déterminent les choix de une ne laissent de fait pas la place à une politique de promotion volontariste des sports et des sportifs aujourd’hui peu médiatisés. Les unes de L’Équipe proposent une représentation (symbolique et quantitative) de l’actualité sportive qui donne la suprématie au football masculin.

On peut aussi estimer que de tels choix tendent à renforcer cette suprématie, et que le caractère hautement symbolique de la une permettrait de saluer certaines performances, contribuant ainsi à faire évoluer les perceptions et l’intérêt du lectorat. Les résultats positifs du quotidien, dans un secteur en grande difficulté, n’incitent probablement pas ses dirigeants à changer une Équipe qui gagne [2].

Ils ratent peut-être une chance de faire du développement à plus long terme, mais pour l’heure, l’hégémonie actuelle du ballon rond n’est pas un problème pour eux, au contraire. Reste, en définitive, ce paradoxe de la place exorbitante accordée au football dans un pays que l’on dit ne pas être de football.


[1] Une étude de l’association Les Dégommeuses sur plusieurs titres de la presse sportive, menée sur le mois de septembre, indiquait pour L’Équipe seulement 1,2% de pages consacrées au football féminin sur l’ensemble des pages consacrées au football. Il faudrait toutefois conduire une telle enquête sur une période plus longue, et mesurer les éventuelles évolutions depuis plusieurs années.
[2] Le vaisseau-amiral de la marque peut aussi arguer de la diversité des contenus proposés par ses différentes déclinations (magazine, télévision, site Internet, etc.).

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