
Il suffit parfois d’un grain de sable pour enrayer une machine. Pour Dimitri Skoroboutov, cela a pris la forme d’une bagarre une nuit d’août 2016 dans les locaux de VGTRK, la compagnie d’Etat russe de radio-télévision, lorsqu’un collègue éméché le prend violemment à partie et l’expédie aux urgences avec contusion cérébrale et déplacement de cervicales. Licencié peu après, le journaliste, qui multiplie depuis un an les recours devant les tribunaux, dévoile les pratiques de son employeur.
« On me disait : “Calme-toi, on va punir Micha [le collègue].” Au début, j’ai accepté toutes leurs conditions, ne rien dire, ne pas aller voir les flics… », expose Dimitri Skoroboutov, rencontré dans un café de Moscou, un épais dossier sur les genoux. Employé depuis quinze ans comme éditeur en chef de « Vesti », le journal d’information diffusé plusieurs fois par jour sur la première chaîne, Rossiya 1, il connaissait bien son agresseur dont il s’était plaint à plusieurs reprises de l’état d’ébriété pendant les heures de travail. « Il ne supportait pas que je sois gay, il me faisait toujours des plaisanteries graveleuses. » Membre de la rédaction en chef, une équipe formée avec sept autres personnes, il dirigeait à lui seul une trentaine de subordonnés.
Sujets censurésVGTRK ne prend pourtant pas son parti. « Kondrachov a eu peur du scandale, c’est un personnage public », estime le journaliste. Andreï Kondrachov, directeur de « Vesti », est en effet connu. Il est l’interlocuteur de Vladimir Poutine, dans le documentaire Crimée, le chemin vers la patrie, diffusé en mars 2015 sur Rossiya 1, qui justifiait l’annexion de la péninsule ukrainienne. Après deux mois de silence de sa direction et devant le refus de lui fournir les enregistrements vidéo du soir de son agression, Dimitri Skoroboutov finit donc par déposer plainte et se retrouve aussitôt licencié pour « manquement aggravé de la discipline » alors qu’il...