« Lola Lafon, quel est votre livre réparateur ? »
Partager
Tweeter
Livres
édition abonné

« Lola Lafon, quel est votre livre réparateur ? »

« Blonde », de Joyce Carol Oates.

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Auscultation d’une Amérique qui fait son cinéma à grand renfort de jeunes filles, ce négoce majuscule qu’est Hollywood, dont le surnom, « The ­Industry », énonce clairement l’enjeu, auscultation de l’enfant abandonnée Norma, de l’adolescente Norma Jean, pin-up qu’on épingle et écartèle comme un papillon rare, nue sur du velours rouge, auscultation de Marilyn Monroe menée sans le moindre espoir d’une intervention salvatrice puisque le prologue est consacré au personnage de « La Mort », Blonde, de Joyce Carol Oates, s’annonce trompeusement comme une réhabilitation de l’actrice Monroe.

Si la mécanique de la fabrication des stars est un sujet classique de la littérature nord-américaine, le coup de maître d’Oates est de prendre la « réparation » au mot et d’en faire le pivot, le corollaire de toute célébrité féminine. Car pas une seule des près de mille pages du roman ne laisse le moindre doute : si on prépare les acteurs avant leur mise sur le marché, les actrices, on les répare, on les rafistole. Le jeune corps féminin du personnage Monroe est « découvert » comme un territoire convoité, une maison à transformer avant de la louer. A moins de 20 ans, ses dents seront redressées, son nez raboté, ses seins refaits.

Il faut relire les pages consacrées à sa mise en scène par elle-même et ses coiffeurs, ses maquilleurs, de Marilyn, ce temps infini à se fabriquer, cinq heures, « autant que pour préparer un cadavre ». Les teintures qui brûlent le cuir chevelu, produits si puissants qu’il faut diriger un ventilateur sur Marilyn pour lui éviter l’asphyxie, les mules si étroites et à talons si hauts qu’elle ne peut avancer qu’à pas de bébé, le fond de teint à la texture d’enduit qui bouche les pores, les somnifères pour un teint reposé et les amphétamines pour la brillance du regard. Joyce Carol Oates prend note de chacun des outrages faits à la « dumb blonde » qui n’était ni blonde...