Si 2017 a donné l’impression de dézinguer les zones noires du consentement, retroussons nos manches… il va falloir enchaîner sur les zones grises. Un exemple parmi d’autres : qui ne dit rien consent. Vraiment ? La sidération, l’intoxication, l’intimidation valent consentement ? Encore faudrait-il avoir les moyens de dire non. Et au-delà des silences, que faire des partenaires qui hésitent ? Comment négocier un « oui » lâché de manière peu convaincante, ou sous la pression du groupe ? Parce que ces champs sont piégés, les campus américains passent du « non c’est non » au « oui c’est oui » (qui ne dit rien ne consent plus)… lequel pourrait à son tour être remplacé par une exigence de consentement enthousiaste (« oui c’est OUI »).
Cette suggestion se révèle moins contraignante qu’elle n’en a l’air. Les partisans de l’enthousiasme proposent deux options : 1) le « consentement de couverture », qui consiste à demander une permission globale, révocable à n’importe quel moment, 2) le consentement par étapes qui verbalise le « oui » à chaque changement de programme. Si vous imaginez une contractualisation agressive, vous filez en case prison pour cause d’énorme cliché – et possiblement d’antiaméricanisme primaire. Les formules relèvent moins de la joie forcée que de la prévenance : « j’ai envie de te… », « serais-tu d’accord pour me… ? » Au lieu de demander après la relation sexuelle (donc trop tard) si l’autre a aimé, il s’agirait de demander avant et pendant, si l’autre aime encore et va continuer à aimer (car rappelons-le, on peut changer d’avis au milieu d’un rapport – en sexualité, personne ne vous oblige à finir notre assiette).
Malgré sa dénomination effrayante, il y a de fortes chances que vous utilisiez déjà le consentement enthousiaste à la maison et qu’il fasse partie de votre norme inconsciente. Il faut imaginer la situation inverse, celle d’un consentement toujours implicite ! Ce dernier impliquerait une absence de communication dans le couple, une manipulation mécanique du corps de l’autre, et zéro inquiétude pour le ressenti de la personne supposément aimée. Entre ça et la contractualisation sous contrôle d’huissiers, c’est la peste et le choléra.
Nos silences ne sont pas toujours complices
Cependant, demanderez-vous, pourquoi cette obsession pour la verbalisation ? Pourquoi ne peut-on pas faire confiance au feeling ? Eh bien, au risque de fracasser vos préparatifs de Noël : notre feeling tombe souvent à côté de la plaque. En 2017, nous ne sommes toujours pas d’accord sur les contours de l’agression. Certains abuseurs se découvrent coupables après coup, parce qu’ils ne conceptualisent le viol que comme une attaque nocturne, menée dans une ruelle sombre, sous la menace d’un couteau à dinde (alors même que la plupart des viols sont commis par une connaissance).
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Deuzio, pour se passer de consentement verbal, il faudrait repérer des signes physiques de consentement – ce qui exige soit une bonne connaissance de son partenaire (on en reparlera après quatre verres de champagne) –, soit des dons de télépathie, soit une parfaite maîtrise du langage du corps (lequel non seulement reste une science inexacte, mais demande une attention dont on ne dispose pas toujours dans le feu de l’action). De toute façon, si vous connaissez à la perfection votre partenaire, ne devriez-vous pas vous sentir libre de vous exprimer verbalement ? Qu’y a-t-il de si incroyablement sexy dans nos silences ? A part de la gêne ? Pourquoi est-ce toujours le même argument de la maladresse sociale qui revient ? Sans vouloir être narquoise : si on a peur qu’une simple question casse l’ambiance d’une relation sexuelle, c’est que l’ambiance est sacrément fraîche pour la saison.
Soyons honnêtes : nos silences ne sont pas toujours complices, encore moins toujours érotiques. Et surtout, ils n’émergent pas d’un contexte d’égalité d’accès à la parole. Un homme sera moins stigmatisé qu’une femme s’il verbalise son désir : une situation qui facilite l’instrumentalisation du silence féminin. Se moquer du consentement enthousiaste revient à se moquer des personnes qui ont du mal à consentir – double peine pour les timides, les anxieux, les incompétents, les plus fragiles et les moins expérimentés. Certaines personnes sont en situation de risque quand vous, personnellement, ne l’êtes pas : méritent-elles d’être abusées ? Est-ce que « ça leur apprendra » ?
Nous avons mérité ces interminables polémiques
Il faut garder cette logique du plus faible à l’esprit quand on fait face à des propositions plus extrêmes. Un exemple ? Sur le site du projet YesMeansYes, on peut lire la citation suivante :
« Le consentement n’est pas une question. C’est un état. Si, plutôt que du sexe, vous pratiquiez de la natation synchronisée, le consentement serait l’eau. Il ne suffit de plonger dedans, d’être mouillé et de ressortir – si vous voulez nager, vous devez être continuellement dans l’eau. Et si vous voulez avoir des relations sexuelles, vous devez être continuellement dans un état de consentement enthousiaste envers votre partenaire. »
Que les choses soient claires : dans ce paradigme-là, personnellement, je quitte le navire sexuel, car j’exige de pouvoir élaborer ma liste de courses pendant l’amour. Un enthousiasme continu demanderait soit un extraordinaire talent du partenaire (avec storytelling intégré pour ne laisser aucun espace de frustration ou d’ennui), soit une permanente mise en scène du plaisir, c’est-à-dire une forme de simulation.
Cependant, ne jetons pas le consentement enthousiaste avec l’eau du consentement ultra-enthousiaste continu. Faisons preuve d’humilité (c’est Noël) en acceptant de remettre en question nos évidences. Rappelons-nous que rien ne change plus vite qu’une évidence – et que rien ne garantit que nos évidences soient justes (quand je suis née, le viol n’était pas un crime. James Bond et Indiana Jones traitaient le « non » féminin comme un délicieux piment posé sur le baiser qu’ils allaient leur arracher. Ce qui risquait de casser l’ambiance, c’était le préservatif… ma génération semble pourtant avoir survécu).
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Alors bien sûr, c’est compliqué. Nous sommes encore en cours de familiarisation avec le « non », et on nous demande d’apprendre le « oui » ? Eh bien, tant mieux. Posons toutes les questions. Explorons toutes les pistes. Nous avons mérité ces interminables (parce qu’interminées) polémiques. A 270 000 victimes de violences sexuelles dans les transports en commun l’an dernier, à 500 000 mots-clefs #moiaussi, nous n’avons de leçons de consentement à donner à personne – et certainement pas aux Américains. La sécurisation des zones d’ombre de nos relations sexuelles, qu’elle nous enthousiasme ou pas, ne relève pas du luxe ou d’une irréaliste exigence de « risque zéro ». Les abus ne sont pas un épiphénomène : si quelqu’un a des solutions à apporter, de quel droit ferions-nous la fine bouche ?