Vous retrouverez l’ensemble de ces récits dans un supplément spécial publié avec Le Monde daté 26 décembre.
Ah ! quelle belle journée ! Devant nous, à perte de vue, un magnifique manteau de neige scintillante, troué de loin en loin de taches de pins sylvestres, sous un ciel bleu vif. Et là, coup de chance, à peine notre course débutée, une piste de rennes toute fraîche qui ne demande qu’à être suivie, et un peu plus loin voici celle d’une oie. Cette saison de chasse sera vraiment excellente et, d’après ce que je vois de traces dans la neige, si tout va bien, nous devrions sans mal, à tous les deux, mon fils et moi, ramener aujourd’hui une belle outarde (la voilà à présent à portée de tir), quelques gigots bien charnus et surtout plusieurs peaux pour réparer notre hutte. Et si jamais l’un de ces rennes acceptait de se livrer à mon fils, lui qui attend cela depuis si longtemps ? C’est toujours une véritable révélation, pour un jeune aurignacien, que son premier renne. Sans compter que la chair en est bien sûr plus goûtue, quand on l’a tenue au bout de sa propre sagaie ! Et comme sa mère serait fière de lui… Ah, décidément, quel beau cadeau et quelle belle journée ce seraient, pour lui comme pour nous tous, que ce 24 décembre, 33 330 avant la parution de ce texte. Si j’osais un anachronisme dans notre ère paléolithique dont il faut se rappeler qu’elle vient à peine d’inventer les symboles – les dessins de la grotte Chauvet, vous connaissez ? C’est encore presque aussi frais que la piste de rennes que nous continuons à suivre à pas pressés (tandis que l’oie est déjà dans le sac) –, bref, si j’osais cet anachronisme, je dirais que cette journée sera sans doute à marquer d’une croix !
François Bon, professeur de préhistoire à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès.