Incorrigibles professeurs, le ministère fait un effort financier en ajoutant un deuxième professeur principal en terminale, et certains d’entre eux redoutent un coup fourré. Officiellement, l’élève sera beaucoup mieux accompagné, informé, et ainsi il n’aura pas de déconvenue. Son projet d’études affiné se concrétisera, et par exemple, il aura « accès à la licence de son choix », dit la brochure du ministère remise à tous les terminales.
Pourquoi alors des professeurs sont-ils dubitatifs? La belle histoire cache-t-elle des arrière-pensées? Lorsqu’on pratique depuis des années l’éducation nationale, on sait qu’elle ne rase pas gratis, et si en période de disette budgétaire, elle se montre généreuse, c’est qu’elle attend une contrepartie.
Quelques signes incitent les professeurs à la perplexité. D’abord, ils savent bien que le système APB [techniquement plutôt au point] a rencontré des problèmes, tout simplement parce qu’il y avait plus de demandes dans les formations dites en tension, que de places. Le problème n’a pas disparu.
Veut-on que les profs aident les élèves à construire un projet personnel ambitieux, ou veut-on qu’on fasse peur aux élèves dont les dossiers ne sont pas les plus solides, en leur faisant intérioriser par avance un échec possible? Faudrait-il à même pas 18 ans, qu’ils admettent qu’ils n’ont pas l’étoffe de premier de cordée?
Paranoïa du prof penseront certains. Deux infos montrent que ces inquiétudes ne sont pas si infondées:
Jusqu’à l’année dernière, le mot d’ordre était: tout le monde ou presque doit passer dans la classe supérieure; c’était le sens de l’histoire. On a été au bout de cette démagogie jusqu’à l’écoeurement. Les hiérarchies se sont montrées particulièrement zélées. J’ai vu des Inspecteurs d’académie, des proviseurs des IPR [inspecteurs pédagogiques régionaux] commenter sur un ton docte de pseudo grosses évolutions , ainsi: nous sommes en retard dans le département X avec un taux de redoublement de 3,7 %, alors que dans le département voisin, ils sont plus performants (avec un taux de 3,4%!). Rappelons qu’il y a quelques années ce taux (trop élevé, certes) atteignait facilement plus de 15%. Il semblerait qu’avec le même zèle qui étouffe la conscience, ces girouettes encouragent les professeurs et les présidents des conseils de classe à dire dès le premier trimestre à des élèves: « Avez-vous fait le bon choix d’orientation? » Dès fin novembre ou début décembre, on suggère à des lycéens, avec plus ou moins de tact, qu’une réorientation serait une bonne chose. Ces mots là, si tôt prononcés peuvent être violents. Le ministère ne ferme plus la porte à des redoublements ciblés et utiles s’il y a de la motivation de la part des élèves et familles concernées, mais la stratégie de « l’écrémage » des ambitions est plus subtile.
Deuxième élément tout aussi troublant. On m’a rapporté qu’un inspecteur avait dit au professeur inspecté, « il faut que le lycée endogénéise l’échec du supérieur ».
Traduisons, il va falloir empêcher subtilement des élèves de se laisser tenter par des voies dans lesquelles il y a assez de monde. Subtilement, car on arrivera à faire en sorte que les enfants moins soutenus par leurs familles (souvent parce qu’elles ne comprennent pas bien le système et ne maîtrisent pas bien ses codes) s’autocensurent. Hier, on a souvent convaincu les femmes qu’elles n’étaient pas faites pour certains postes à responsabilité; l’art de la domination, c’est d’arriver à convaincre ceux qui en sont victimes que la situation est logique, normale. Aujourd’hui, ce ne sont pas les enfants de familles aisées ou à fort capital culturel (on pense aux parents profs) qui pâtiront le plus de la pression exercée sur les lycéens en matière de choix d’orientation.
Ces pratiques ne permettront pas de lutter contre les inégalités et risquent fort au contraire, de les creuser. La frustration de voir arriver dans les classes beaucoup d’élèves mal préparés ne doit pas conduire les professeurs à être complices de la sélection qui ne dit pas son nom. C’est pire quand elle est hypocrite. On ne peut pas tout à coup sanctionner des élèves que le système a laissé arriver en terminale dans de mauvaises conditions.
Je fais partie des professeurs qui incitent sans démagogie les élèves à être lucides, mais je ne suis pas un conseiller d’orientation (je n’ai pas été formé à cette mission spécifique) et je n’ai pas un droit de veto même larvé pour dérouter les élèves de projets qui leur tiennent à coeur. Au deuxième trimestre, je ferai partie de ceux qui estimeront que leur avis pour le supérieur ne doit pas être un handicap supplémentaire pour les élèves fragiles.
« On m’a rapporté qu’un inspecteur avait dit au professeur inspecté, « il faut que le lycée endogénéise l’échec du supérieur ».
Les gardes chiourmes de l’institution sont à la manoeuvre.
« mais je ne suis pas un conseiller d’orientation (je n’ai pas été formé à cette mission spécifique) »
Vous ne l’êtes pas mais tout doucement vous les remplacez sans le vouloir.
Faire en sorte que ce soit les profs du secondaire qui se chargent de faire de la sélection pour le supérieur voilà l’objectif.
Les cons ça osent tout……..vous connaissez la suite.
Malheureusement on détecte toujours l’inégalité