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Quel impact ce rapport pourrait-il avoir sur les politiques publiques? Suggère-t-il des solutions aux inégalités croissantes?
R.V.
Gabriel Zucman : Le but principal du rapport est de fournir des chiffres, nécessaires au débat démocratique. Tout le monde a son avis sur le niveau optimal d’inégalité, le niveau approprié de redistribution – et c’est très bien ainsi. Simplement, si l’on veut avoir un débat de qualité, encore faut-il que l’on puisse savoir qui gagne quoi, qui possède quoi, qui peut contribuer à quelle hauteur. C’est particulièrement important dans un pays comme la France, où l’Etat prélève et redistribue 50 % de la richesse créée chaque année.
Comment voyez vous l'évolution des inégalités avec les disparitions massive d'emploi attendue ?
Michael
Gabriel Zucman : Il est bien sûr difficile de prédire l’évolution future des inégalités, mais quand on regarde les vagues de progrès technologiques passées, il ne semble pas qu’elles se soient accompagnées d’un effondrement du taux d’emploi. En revanche, il est clair que la fiscalité joue un rôle déterminant dans l’évolution des inégalités. De ce point de vue, la suppression de l’ISF, la baisse de l’impôt sur les sociétés et de la taxation des dividendes risquent fort de contribuer à une augmentation des inégalités.
Bonjour, qu'en est-il de la situation de la France ? Les inégalités se sont-elles aussi creusées ? Si oui, dans quelles proportions et y a-t-il des publics concernés par une extrême pauvreté/richesse (jeunes, retraités, hommes, femmes...) ?Je vous remercie
Maëlys
Gabriel Zucman, professeur à l'université de Berkeley, en Californie, et économiste à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) :
Bonjour Maëlys,
En France, les inégalités ont eu tendance à augmenter, mais moins qu’aux Etats-Unis par exemple. Les 1 % les plus riches ont capté 21 % de la croissance depuis 1983, date du fameux “tournant de la rigueur”. Mais on reste loin des niveaux d’inégalités observés outre-Atlantique, où les revenus ont stagné depuis 1980 pour la moitié de la population. Les inégalités entre hommes et femmes demeurent très élevées : parmi les 0,1 % des Français aux revenus les plus élevés, on ne trouve que 12 % de femmes.
Bonjour, il y a surtout de quoi se demander quelles sont les raisons qui ont engendré de telles inégalités et le plus terrible est l'impression que l'Europe courre après les USA en termes économiques. Est ce une illusion?
Pierre
Lucas Chancel : Contrairement à une idée largement répandue, la hausse des inégalités n’est pas une fatalité. Ce n’est pas la faute de la ‘mondialisation’ ou de ‘révolutions technologiques’ sur lesquelles nous n’aurions pas prise. C’est bien le résultat de choix politiques, comme le montrent la comparaison entre les USA et la France, ou entre la Chine et l’Inde par exemple.
L’Europe suit-elle le chemin des USA? Si on continue à réduire la progressivité fiscale, si l’on ne passe pas du discours sur l’égalité des chances à une égalité réelle des chances (en France, le budget par étudiant de l’enseignement supérieur a diminué de 10% en 10 ans, malgré tous les discours sur l’économie de la connaissance!) alors oui, la France et l’Europe peuvent rejoindre la trajectoire américaine.
Pensez-vous que votre travail peut avoir une chance d'influencer les politiques ? (on voit bien que les travaux existent, sont relayés mais les inégalités continuent de se creuser)
Je doute
Lucas Chancel : La dernière réforme fiscale aux USA ou en France ne vas pas dans le sens de plus de progressivité fiscale, bien au contraire, on continue sur la logique consistant à accorder aux plus aisés des taux d’imposition dérogatoires alors que la classe moyenne elle ne bénéficie pas de tels avantages. Pourtant la progressivité fiscale est un outil extrêmement puissant pour lutter contre l’explosion des inégalités au sommet de la pyramide sociale.
Au vues des résultats, pouvons-nous dire que l'Europe s'en sort le mieux ? Les politiques Européennes auraient-elles été plus judicieuse pour ses habitants ?
Papillo
Lucas Chancel : On observe une hausse des inégalités dans la plupart des pays du monde depuis 1980, mais cette hausse ne s’est pas faite au même rythme partout. Aux USA, les inégalités de revenu et de patrimoine ont explosé. En Europe, la hausse des inégalités a été plus contenue. Plus précisément, les 1% les plus riches détenaient 12% du revenu total en Europe en 1980, contre 12%. Aux USA sur la même période, la part du top 1% est passée de 11% à 20%.
Il est intéressant de comparer ces deux ensembles (USA et Europe) car ils ont à peu près la même taille, ont à peu près le même niveau de revenu moyen, le même exposition aux nouvelles technologies ou à la mondialisation des échanges. Ceci suggère que la divergence extreme en matière d’inégalités observée dans ces deux régions est dûe à des choix (ou des non-choix) politiques. En particulier en matière de politiques fiscales (la progressivité de l’impôt a fortement chuté aux USA depuis les années 1980, en Europe aussi mais dans une moindre mesure), on observe aussi un accès inégalitaires à l’éducation et à la santé aux USA, alors que les Etats européens ont réussi à maintenir un socle de protection sociale qui jusqu’ici s’avère relativement efficace. Même si bien sûr tout n’est pas rose en Europe. Les hauts revenus et patrimoines y ont également progressé plus vite que le reste de la population qui a largement subit les effets de la crise économique et de la crise de la gouvernance économique européenne depuis 10 ans.
Lucas Chancel, codirecteur du laboratoire sur les inégalités mondiales à l'Ecole d'Economie de Paris :
Jusqu’à présent le débat sur les inégalités mondiales s’est largement focalisé sur les 1% ou 10% du haut. A juste titre, car c’est là que l’on observe une croissance élevée des revenus et des patrimoines au cours des dernières décennies. Mais on disposait jusqu’alors de peu d’information sur l’évolution des niveaux de revenu des 90% du bas. On est désormais en mesure de couvrir l’ensemble de la distribution des revenus. C’est une nouveauté. On observe ainsi un effondrement des bas revenus aux USA, et un décrochage en Europe par rapport à la moyenne, mais bien moindre qu’outre Atlantique.
La seconde nouveauté, et pas des moindre, c’est que l’on dispose aujourd’hui d’information précises sur l’évolution des inégalités dans les pays émergents. Avant, on était incapable de dire comment la forte croissance de certains pays émergents au cours des dernières décennies s’était répartie au sein de la population. On sait que la pauvreté a diminué. Mais il peut y avoir réduction de la pauvreté absolue et hausse des inégalités. Désormais, on dispose de données sur les inégalités en Inde, en Chine, en Russie, au Brésil… des pays qui ont connu de profondes transformations depuis 1980. On observe une explosion des inégalités en Inde et en Russie, une hausse moindre en Chine et une stabilisation (à un niveau d’inégalité extrême) au Brésil.
Enfin, dès lors que l’on peut mesurer l’ensemble des revenus, des plus riches aux plus pauvres, dans les pays du Nord et dans les pays émergents, on est en mesure de répartir l’ensemble de la croissance mondiale. Cela nous permet de publier des chiffres tout à fait inédits sur l’inégalité mondiale entre individus.
Cette radiographie, d'une précision inégalée, révèle un creusement des écarts de richesses partout sur la planète. Ainsi, les 1 % les plus riches ont capté 27 % de la croissance totale, contre 12 % pour la moitié des plus pauvres. De surcroît, de fortes disparités apparaissent entre les régions concernées, comme entre les Etats-Unis, où les inégalités ont explosé, et l'Europe.
Le rapport, fruit du travail mené par une centaine d'économistes de renom rassemblés au sein de la World Wealth and Income Database (WID.world), est inédit par son ampleur. Il examine les inégalités mondiales sur une période allant de 1980 à 2016, et ce dans un grand nombre de pays (près de soixante-dix en ce qui concerne les revenus). Depuis jeudi, « Le Monde » publie enquêtes, reportages et tribunes sur ce thème socio-économique et politique majeur.